Quand je suis arrivée dans l’église, un peu en avance, elle était plongée dans la pénombre. Le sacristain absent, le couple chargé de le remplacer stressé car la porte de la sacristie ne répondait à aucune clé du trousseau, les cloches qui n’avaient pas sonné, l’autel qui n’était pas prêt… Tension, à quelques instants du début de la messe, et le curé qui arrive toujours un peu à la dernière minute. Je ne sais même pas pourquoi je me sentais si confiante après une longue journée de travail et tout ce stress ambiant. Il n’était tout simplement pas possible qu’on ne célèbre pas ce soir la messe en l’honneur de saint Joseph. J’ai dit : “Peut-être que le verrou est inversé?” Et la porte de la sacristie s’est ouverte tout de suite, comme par miracle…
Par contre, personne n’a trouvé les bons interrupteurs pour allumer la lumière. Le curé, qui n’est pas dans la paroisse depuis longtemps, non plus. Alors, on a célébré dans la pénombre du soleil couchant, et cela lui seyait bien, à saint Joseph, que nous chantions, à la seule lueur du chœur “N’aie pas peur, laisse-toi regarder par le Christ”. Se laisser regarder par l’unique lumière de cet enfant qui allait naître au cœur de la nuit la plus noire, se laisser enseigner sur cette naissance divine dans un songe nocturne précédé d’un sombre doute sur la fiancée si belle…
Le prêtre a eu des paroles porteuses de sens sur saint Joseph, et nous étions bien, là, si peu nombreux mais recueillis, quand nous avons fait résonner encore l’Ave Maria de Lourdes pour clore cette célébration toute simple mais belle.
Et moi je songeais, en récitant le Credo de l’Eglise de mon baptême exposée à tant de bourrasques, que j’avais été assez naïve, mais que j’étais encore toujours là malgré tout. Naïve, quand j’ai cru, il y a longtemps déjà, que l’Eglise catholique me verrait comme une chance pour elle parce que je recevais tant de choses à lui dire de la part du Seigneur. Naïve, quand j’ai cru que mon mari persévèrerait dans une foi qu’il avait découverte à mon contact, et qu’il ne me répudierait pas. Naïve, quand je croyais que cette Eglise était avant tout passionnée par le Christ, et qu’elle reconnaîtrait dans mes propres combats ses accents à Lui, toujours pleins d’exigeante vérité. Naïve, quand je pensais, à chaque nouvel interlocuteur ecclésial, qu’il recevrait un signe, un songe, une incitation à avoir confiance en moi de la part du Père, comme celui-ci avait daigné le faire pour protéger son Fils.
Mais là, à l’ombre de saint Joseph, j’ai pensé aussi à mon papa qui a toujours tant fait pour moi, à son labeur de toute une vie pour nous nourrir malgré l’indigence de son salaire, à ce prénom si particulier qu’il porte, René, celui qui est né une seconde fois, et Joseph, comme son propre parrain… Et leur même métier du travail du bois…
Et je suis sortie heureuse et paisible de l’église, parce que celle avec un grand E, c’est une chose, mais la chaleur de ma paroisse, c’en est une autre.
Saint Joseph était un humble, de ceux qui comprennent entre les lignes et par-delà les apparences et les mots, et il convenait que je le fête, là, ce soir. Dans la pénombre.