Je ne cesserai de me faire l’avocate des professeurs des écoles soumis à des rythmes de travail et à des pressions de toutes sortes qui amputent très sérieusement leur vie privée et leurs possibilités d’épanouissement personnel. Celles et ceux qui passent pour des gens toujours en vacances aux yeux de l’opinion publique en France sont pressurés à un point que l’on n’imagine même pas. Et ainsi, j’ai grande compassion d’eux en ce mois de juin qui sera pour eux tous l’un des pires de l’année. Le “Alors, bientôt en vacances ?” est tout simplement insupportable à entendre quand on ne voit même plus que l’été commence à force d’avoir le nez dans préparations, corrections, livrets numériques, commandes de rentrée, bilans de toutes sortes, kermesses ou spectacles de fin d’année à préparer, journées de canicule ou d’orage interminables avec des élèves déjà démotivés et fatigués par la “période” scolaire la plus longue de l’année.
J’en parle avec un peu de recul cette année parce que mon médecin a détecté judicieusement le burn out commençant et m’a prescrit sans hésiter un arrêt de travail long. C’est la première fois, en trente-cinq ans de carrière, que je ne suis pas tétanisée par le stress en cette fin de printemps. J’avais l’habitude de prendre en haine le mois de juin et de languir après les douceurs qu’il aurait pu m’offrir, dans l’impossibilité de concilier l’appel du jardin et des parcs fleuris avec les exigences incontournables du métier. Que l’on ne se méprenne pas : les petits jours fériés de mai ont surtout un goût d’amertume quand on prend un tout petit peu de temps pour soi tout en culpabilisant d’abandonner le tas de corrections qui attend et les progressions pédagogiques que l’on ne parviendra pas à boucler avant juillet, facteur de stress supplémentaire. La chaleur s’installe dans le pays et le cerveau bouillonne, épuisé. J’en témoigne d’autant plus véridiquement que je lâche prise pour la première fois cette année, et que je mesure le contraste entre un stress professionnel à son apogée et les bienfaits d’un vrai repos du cerveau.
Pouvoir admirer la profusion de roses. Gratter patiemment au couteau, pendant plusieurs jours, la mousse qui s’est insinuée pendant l’hiver humide entre les dalles de la terrasse. Installer des jardinières de fleurs sans penser que ma vraie place serait à mon bureau. Avoir le temps de mettre en forme un petit potager et même d’en arracher les premières mauvaises herbes. Décrocher le téléphone quand mes amis m’appellent, au lieu de laisser s’enclencher le répondeur parce que je n’ai tout simplement pas le temps de bavarder, ni aujourd’hui, ni hier, ni demain.
On ne le sait vraiment pas assez : le / la prof des écoles ne connaît pas de séparation entre son lieu de travail et son foyer. Le cerveau n’est jamais au vrai repos, tel objet est stocké parce que “ça peut toujours servir” et même une visite personnelle de musée enclenche des élucubrations pédagogiques. Bataille permanente de la conscience professionnelle contre le légitime délassement.
Au repos forcé pour cause de surmenage absolu, je demeure solidaire de mes infortunés collègues. Nous avons un dur métier, oui, vraiment. Si ce témoignage peut contribuer à faire évoluer les mentalités qui jugent et méprisent, je n’aurai pas tout perdu en cette quasi fin de carrière pendant laquelle j’ai tellement donné… avec si peu de reconnaissance sociale et institutionnelle.