Nous fêtons aujourd’hui sainte Marthe. Il y a quelques années, j’avais déjà rédigé un article dans lequel j’exprimais mon regret que Marie de Béthanie ait disparu du calendrier grégorien au profit de sa sœur aînée derrière laquelle, au mieux, on la cache en ce jour, au pire, on croit la fêter le 22 juillet en Marie Madeleine, avec laquelle elle n’a pourtant rien à voir, faudra-t-il que je me batte pour le répéter jusqu’à mon dernier souffle… (Voir l’article en lien ci-dessous).
Je viens de faire une expérience assez étrange. Parmi les très nombreux livres religieux que j’ai récupérés dans la maison de mon oncle prêtre, il y a une série en douze volumes : “Les saints de tous les jours”. Un volume par mois du calendrier, édités à la fin des années cinquante pour “Le club du livre chrétien.” J’ai lu quelques articles sur sainte Marthe, saint Abel – demain le 30 juillet – sainte Marie-Madeleine, et la curiosité m’a poussée à lire aussi les pages sur sainte Véronique. L’occasion de constater que des livres religieux, et notamment sur les saints, sont très connotés de l’époque à laquelle ils ont été rédigés. J’y constate un ton assez libre en ces années pré-conciliaires, mais aussi un comité de rédaction exclusivement masculin, et une tendance générale à débiter d’incroyables stéréotypes sur les femmes. Marthe comparée aux épouses catholiques qui s’affairent à la cuisine quand la famille reçoit M. le Curé à déjeuner, Marie-Madeleine affublée de toute la gamme des péchés possibles pour une femme et confondue encore et encore avec Marie de Béthanie, Véronique dans la cohorte des femmes “pardonnées” sur le chemin du Golgotha… On se demande simplement d’où vient l’obsession de ces rédacteurs d’imaginer toute femme – sauf la Vierge Marie bien sûr – susceptible d’avoir de lourdes fautes à se faire pardonner par notre Seigneur Jésus Christ.
Pour moi, je reviens aujourd’hui sur deux figures : Marie de Béthanie et Abel. Ma lecture les a fait se succéder. Ce n’est pas un hasard je pense, car il y a bien des similitudes entre ces deux personnages bibliques.
D’abord, tous les deux, ils sont innocents. Concernant Abel, chacun le sait. Pour Marie de Béthanie, dans l’imaginaire populaire, c’est moins évident, en raison de la confusion avec Marie de Magdala et la pécheresse pleurant sur les pieds de Jésus, qui n’est pourtant pas nommée en Luc 7, 36-50. Je n’aurai de cesse de chercher à démonter cet édifice échafaudé depuis Grégoire le Grand, Bède le Vénérable et le Cardinal de Bérulle. Fi de cette obsession de Marie de Magdala prostituée, et de Marie de Béthanie dans le même sac ! Cessons donc de faire de toutes les femmes de l’Evangile qui ne sont pas le mère de Jésus des prostituées potentielles !
Je pense bien plutôt que si Dieu le Père puis son Fils ont préféré d’emblée l’offrande d’Abel à celle de son aîné Caïn et l’attitude de Marie à celle de son aînée Marthe, c’est que le Seigneur a su discerner dans ces deux cœurs la foi vraie, libre et gratuite. Abel ne se recherche pas dans son offrande, Marie n’attendait aucun compliment de son attitude d’écoute loin des cuisines, mais voilà ces deux cœurs purs et profondément épris de leur Dieu en proie à la jalousie mortifère de leurs aînés. Abel la paie de sa vie. Marie la paie de sa réputation, car aujourd’hui encore, toutes les Marthe de l’Eglise laissent planer sur elle le doute quant à sa pureté d’intention et même de chair ! N’est-ce pas par pure jalousie spirituelle que des générations de prêtres et de dames patronnesses ont fait de Marie ce personnage un peu trouble, passif, lascif ?
Laissons le dernier mot à Dieu.
Le Seigneur tourna son regard vers Abel et son offrande, mais vers Caïn et son offrande, il ne le tourna pas. (Genèse 4, 4-5)
Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée. (Luc 10, 42)
Image : Offrandes de Caïn et Abel Petrus Comestor, Bible historiale, Meermanno Koninklijke Bibliotheek, La Haye (pièce ou n° 15 / 105)