Je ne la connaissais pas, non, et je n’aurai désormais jamais plus l’occasion de la rencontrer. Christine s’est suicidée le week-end du 21 septembre 2019 dans son école maternelle de Pantin.
Christine s’est suicidée.
Dès que j’ai vu passer l’info, lundi, par un lien internet, j’ai compris qu’il ne s’agissait pas d’un “fait divers”, et d’ailleurs je n’aime pas cette expression. Quand il y a mort ou accident, c’est toujours un drame absolu pour ceux qui le vivent. Et je voudrais ici exprimer toute ma compassion aux proches, collègues, amis de Christine. Quand il y a suicide, c’est toujours, pour l’entourage, être confronté à la mort la plus insupportable qui soit, avec ce qu’elle laisse comme lot d’incompréhension et de sentiment de culpabilité indélébile.
Christine s’est suicidée dans son école un week-end, et j’ai tout de suite senti que dans son acte irrémédiable, il y avait volonté d’un message pour nous tous qui allions l’apprendre. Elle a choisi la mort dans son école. Trois semaines à peine après la rentrée.
Si je me sens aussi vivement interpellée par cette tragédie, c’est que j’ai presque le même âge que Christine, qui avait 58 ans, et que comme elle, je suis directrice d’école. Oh pas depuis bien longtemps : un an à peine pour ce qui me concerne. Mais j’ai eu le temps de mesurer la charge extrême de cette fonction, de vivre la multiplicité des tâches exigées par l’administration, de me heurter à l’exigence sans délai de certains parents, d’éprouver la solitude du directeur face aux collègues, même s’ils sont familiers depuis longtemps, de ployer sous le poids des responsabilités en matière d’organisation de la vie de l’école et de la sécurité des élèves et des personnels, de devoir composer avec les élus municipaux selon leurs choix citoyens et parfois leurs humeurs, et enfin, pour mon cas, de concilier l’inconciliable : une classe élémentaire à triple niveau à temps plein – avec seulement un jour par mois libéré pour les obligations de direction ! – et l’avalanche de ces tâches. Pour un gain, soyons claire et franche, de 216 euros par mois par rapport au salaire d’un professeur des écoles de même grade simplement adjoint.
Le suicide de Christine, et elle l’a notifié par de nombreuses lettres, est dû à un épuisement professionnel, à une surcharge mentale lourde, à une insupportable solitude dans ses fonctions et à une détresse quant à l’indigence de notre hiérarchie jusqu’en son sommet. Il pleut des injonctions, des réformes, des circulaires, des mails incessants, et nous directeurs et directrices devons mettre notre ressenti personnel dans notre poche – le fameux “devoir de réserve” du fonctionnaire – et transmettre à notre tour injonctions, réformes, circulaires, mails à nos collègues devant la révolte desquels nous devons demeurer impassibles et impuissants.
Christine s’est suicidée, et je ne peux plus me taire. Je ressens sa souffrance extrême dans tous ses mots, et elle trouve un écho profond en moi. Parce que je suis une directrice d’école de presque son âge, et que j’ai eu une seule chance par rapport à elle : un médecin compatissant a discerné en moi le burnout qui menaçait tout mon équilibre personnel et m’a mise en arrêt de travail à la fin de l’année scolaire dernière. J’y suis encore.
Alors, parce que j’ai du temps pour moi en ce moment et que je m’octroie une certaine liberté d’expression, je veux témoigner de ma grande peine pour Christine et de ma révolte contre ce système qui broie les plus dévoués d’entre nous pour on ne sait au juste quelle “rentabilité”, sans plus tenir compte du facteur humain.
Véronique, 27 septembre 2019
La lettre de Christine à ses collègues directeurs et directrices d’école :
https://drive.google.com/file/d/1FAkwb5gwrsGVhOcgci92NPFeU7T54yvA/view
3 commentaires
Merci pour votre billet.
Très touchée.
Bonjour,
Êtes-vous de la famille Ruault ?
Bonjour, non je ne suis pas de cette famille, j’ai rédigé ce billet car j’étais bouleversée par l’histoire si édifiante et tragique de cette directrice d’école, sans l’avoir connue.