Trois jours depuis la remise du rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise (Ciase). Trois jours à retourner les chiffres accablants des abus dans ma tête, trois jours à échanger beaucoup sur les réseaux sociaux avec mes nombreux contacts qui se sentent concernés, en tant que baptisés et éventuellement catholiques pratiquants, par cette infâme tragédie, trois jours à recevoir avec agacement ou dans l’approbation les réactions et prises de paroles publiques des responsables ecclésiaux, trois jours à ne presque pas pouvoir penser à autre chose qu’à ces victimes innombrables dont j’ai lu parfois les récits, entendu la révolte, pu quelque peu mesurer la multiplicité des conséquences dramatiques sur toute leur vie… Trois jours aussi à redire mon estime et mon amitié à des prêtres, religieux, religieuses innocents de ces crimes mais non épargnés par la honte qui nous gagne tous, pour peu que nous soyons impliqués dans la vie de l’Eglise.
La honte.
Avant mardi 5 octobre, je me rebellais à l’idée qu’elle m’atteigne. J’arguais que je me sentais innocente de ces crimes, étant femme, laïque et n’en ayant jamais entendu parler dans ma jeunesse et avant les années 2000 au cours desquelles la presse a commencé à dévoiler ces horribles affaires. Je ne voyais pas pourquoi je devrais battre ma coulpe de crimes sexuels commis par des clercs inconnus de moi sur des personnes que je n’avais jamais croisées.
Mais voilà, nous savons désormais que les victimes se comptent en centaines de milliers et les prédateurs en milliers depuis les années 1950. Nous savons. Et nous qui sommes pratiquants, nous avons forcément un jour, aux détours de la vie de foi, croisé une de ces victimes qui se taisait, nous avons joui des sacrements de l’Eglise avec joie et insouciance, tandis que d’autres, non loin de nous, étaient meurtris profondément dans leur chair et dans leur âme par ce qu’ils avaient subi mineurs dans notre commune Eglise, sans y trouver aucun lieu d’écoute, aucun espace de parole. Nous étions dans la célébration, et eux dans les réminiscences voire l’amnésie traumatique, mais non sans symptômes somatiques, de leur calvaire. La hiérarchie ne voulait pas entendre, et nous, ignorants, nous étions du coup, tous ou presque, indifférents à leur souffrance.
Alors maintenant, oui, parce qu’en outre j’ai résolu de ne pas claquer précipitamment la porte de l’Eglise de mon baptême, je sens cette honte me gagner et j’en prends ma part.
Aujourd’hui, comme c’est une charge qui me revient dans ma paroisse, je devais faire le tour de mon quartier pour mettre dans les boîtes aux lettres le bulletin paroissial du mois. Je n’en avais aucune envie, et ce d’autant plus que l’éditorial, rédigé avant le 5 octobre, ne faisait rigoureusement aucune mention de la remise du rapport de la Ciase. Mois des missions, mois de sainte Thérèse de Lisieux chantre de l’enfance spirituelle, mois du Rosaire et de la Vierge Marie… Je devais m’engager selon mon petit mandat à mettre ces feuillets dans toutes les boîtes aux lettres.
Habituellement, c’est l’occasion d’échanger un bonjour et quelques mots avec mes voisins se trouvant dehors, mais aujourd’hui, j’espérais de toutes mes forces ne croiser personne, j’avais honte de distribuer ce papier ne faisant pas mention de la remise pourtant prévue de longue date du rapport de la Ciase, j’avais honte d’être celle qui représentait l’Eglise en cet instant, dans ce quartier, j’avais honte d’être celle qui outrepassait les autocollants “Pas de pub, merci” , comme je le fais tous les mois depuis de longues années en me disant que les nouvelles et les rendez-vous de la paroisse ne sont pas de la pub. Je tendais le dos, prête à recevoir une bordée d’insultes d’un propriétaire de boîte aux lettres en colère, à juste titre, contre l’Eglise catholique. Là, même dans cette toute petite fonction, je ne pourrais pas me défausser.
La chance a voulu que je ne croise personne. Je suis rentrée chez moi précipitamment, comme si je venais d’accomplir un forfait.
Combien de temps cette honte devra-t-elle nous coller au visage ?
Je n’espère qu’un seul remède : de promptes, profondes, significatives réformes. Du sol jusqu’au plafond de l’édifice ecclésial, pour reprendre une expression entendue hier. De vraies réformes radicales, courageuses, déterminantes. Sans quoi un jour, moi aussi, je rendrai mon tablier de laïque au service d’une paroisse catholique. Par overdose de honte.
1 commentaire
Bonsoir Véronique. Moi, je l’attendais aussi. J’ai été malade et je le traine comme un boulet. Vous avez la chance de pas avoir souffert des abus de pouvoir par exemple. Cela peut miner une vie. Je n’ai pas honte et fait comme vous mais, je sais que tout de même des responsables de notre Église ont fait silence. On le fait encore. L’unique remède pour pas claquer la porte comme je suis tenté de faire c’est de s’accrocher au Christ. Seul Dieu suffit comme disait Sainte Teresa de Avila.