Le Seigneur a scruté les abîmes et les cœurs,
il a discerné leurs subtilités.
Car le Très-Haut possède toute connaissance,
il a observé les signes des temps,
faisant connaître le passé et l’avenir,
et dévoilant les traces des choses cachées.
Aucune pensée ne lui a échappé,
pas une parole ne lui a été cachée.
Il a organisé les chefs-d’œuvre de sa sagesse,
lui qui existe depuis toujours et pour toujours ;
rien n’y fut ajouté ni retranché :
il n’a eu besoin d’aucun conseiller.
Livre de Ben Sira le Sage 42, 18-21
Textes litugiques©AELF
Je n’apprécie pas tout dans le Livre de Ben Sira le Sage, notamment quelques tirades fort misogynes, mais cet extrait est magnifique et me semble très juste.
Il vient nous rappeler la grandeur, la toute-puissance et la parfaite connaissance des créatures que nous sommes du Dieu des premiers croyants, le Dieu d’Abraham, d’Isaac, de Jacob, l’Eternel du Premier Testament, le Père de la Trinité que nous chrétiens adorons.
Oui, notre Dieu est grand, et je voudrais le réaffirmer quand nombre de théologiens contemporains se complaisent à souligner une prétendue “faiblesse” de Dieu que l’on est allé jusqu’à nommer “le Très-Bas” et que l’on voudrait voir trop durablement fixé au bois de la Croix de nos caprices, de nos rejets et de nos folies.
Or c’est faire injure à Dieu que de lui dénier sa toute-puissance et son omniscience. Et ce n’est pas parce que la création endure des séismes et des orages de grêle que le Dieu de nos Pères est passif, ou indifférent, ou encore impuissant sur les éléments.
J’ai conscience que ma pensée n’est pas “à la mode” ni consensuelle, l’idée que je me fais de Dieu et ma connaissance de sa nature rejoint bien plus celle de Ben Sira aujourd’hui, et j’ai pu me la forger et en vérifier la pertinence à travers toute ma vie.
Dieu le Père, celui qui ne s’est jamais incarné dans ce monde, l’Eternel, Yahvé, celui que nos aînés juifs osent à peine nommer, celui qui “Est qui il Sera” maîtrise chaque donnée de sa création et connaît chaque pensée et intention qui anime ses créatures, les pensées bonnes comme les pensées mauvaises. Nous qui croyons pouvoir le berner par des dévotions et rituels de surface, nous qui pensons que nos génuflexions ostentatoires et nos nuées d’encens pourront infléchir sa Volonté alors que nous nous présentons parfois devant Lui le cœur rempli d’orgueil et de rejet du prochain qui a d’autres pratiques religieuses, nous qui invoquons à tort et à travers la “Tradition” comme la seule voie qui lui plaise, nous qui dissocions sans aucun scrupule le rite religieux de la charité la plus élémentaire, ne pensons pas en plus que le Dieu créateur est aveugle à l’hypocrisie de ces comportements et sourd à nos désirs de conquête purement ecclésiale !
Ces dernières années, l’eau se fait rare jusque sous nos latitudes européennes. Ici ou là, on ressort les chasubles richement ornées, les statues de saints et les goupillons pour des rogations d’un autre âge. Tiens donc, Dieu aurait donc à nouveau le pouvoir de faire pleuvoir quand nous tentons de l’attendrir par des processions aux nuages ?
Et s’il avait le pouvoir de retenir la pluie pour vider nos piscines privées et assoiffer nos serres qui ne veulent nourrir qu’une moitié nord de l’humanité contre espèces sonnantes et trébuchantes ?
S’il laissait la terre se venger elle-même de l’homme qui l’a saccagée irrrémédiablement par cupidité et inconséquence?
S’il tentait simplement de nous rappeler que nous ne sommes que fourmis grouillant à la surface de ce monde, qu’il voit ne s’activer que pour “créer des richesses” profitant toujours aux mêmes ?
S’il voulait nous rappeler notre petitesse et notre finitude à nous face à Sa grandeur qui connaît notre commencement et sait parfaitement vers quelle fin marche ce monde et dans quels délais il se muera en enfer ?
Dieu n’est pas pour autant cruel et indifférent à notre sort de créatures perdues dans ce chaos. Certes non, puisqu’il nous a envoyé son Fils dont la Parole nous a tout annoncé d’avance. Son Fils qui nous a promis le Royaume qui advient et “qui n’est pas de ce monde” (Jean 18, 36).
Mais dans notre sotte suffisance humaine, nous faisons ces dernières décennies de notre Sauveur un faible humain pendu au bois de sa croix, qui nous aurait délégué tout pouvoir sur la création, n’aurait plus quant à lui que celui de pardonner mollement toutes nos offenses et même nos crimes contre l’humanité, et ne se manifesterait qu’au moment de notre mort pour nous offrir inconditionnellement un paradis considéré d’ores et déjà comme un dû, quand il n’est pas prêché comme un droit incompressible du baptisé.
Et quand les Ecritures contredisent résolument ces vues tout humaines, nos chers théologiens les relativisent jusqu’à l’extrême, allant jusqu’à arguer que Jésus a dit ceci mais pas cela, que nous comprenons ceci parce que nous sommes ignares en exégèse historico-critique et qu’eux, les super interprètes bibliques, vont nous aider à bien comprendre plutôt “cela”. Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes, l’homme est définivement maître de la création, il peut bâtir des tours, des usines et des lignes de métro Orly-Versailles, il peut dépenser des sommes folles pour envoyer des vols habités vers Mars et fermer les yeux sur tant d’enfants qui meurent de faim, de rougeole ou de paludisme à quelques heures d’avion de chez nous…
Tout va pour le mieux, Dieu le Très-Bas nous aime et nous attend avec des vins capiteux au terme de nos vies d’égoïsme et d’injustice, d’ailleurs preuve en est “Qu’il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes” (Matthieu 5, 45), jusqu’à ce que, peut-être, il ne la fasse plus tomber du tout, ou alors sous forme d’orages dévastateurs, pour nous sortir de notre torpeur spirituelle…
Image : La création du soleil et de la lune, Michel Ange, chapelle sixtine (1508-12), Vatican