J’expérimente parmi mes frères et sœurs chrétiens de confession protestante un fait nouveau pour moi : être autorisée voire encouragée à croire selon ma propre expérience de vie, mon cheminement et ma quête spirituelle personnels, mon approche la plus juste possible des Ecritures, mon bagage ecclésial indélébile et le partage avec autrui dans le débat et la confrontation respectueuse des différentes interprétations des textes bibliques. J’apprends ainsi peu à peu à me libérer du joug et du poids pesant de la Tradition si souvent invoquée en catholicisme.
Je me souviendrai toujours d’un dialogue profond et bienfaisant avec mon ami de longue date moine cistercien, un des clercs – il est également prêtre – les plus ouverts et lumineux qu’il m’ait été donné de croiser sur ma longue route de foi. Perdu désormais dans la confusion et la dépendance du grand âge, il a semé en moi des germes de confiance et de fidélité indéfectible au message évangélique, à la Personne du Christ, à la bienveillance du Dieu qui se manifeste de la Genèse jusqu’à l’expérience sensible de sa grâce aujourd’hui, en passant par la Croix et la Résurrection du Seigneur Jésus.
Un jour donc, du temps de sa pleine lucidité, j’évoquais avec lui en parloir mes émerveillements de foi et mes réticences à certaines doctrines catholiques, notamment par exemple au sujet de la virginité perpétuelle de Marie. Nous débattions du fameux point de catéchisme 510 :
Marie ” est restée Vierge en concevant son Fils, Vierge en l’enfantant, Vierge en le portant, Vierge en le nourrissant de son sein, Vierge toujours ” (S. Augustin, serm. 186, 1 : PL 38, 999)
Je l’entends encore me dire : ” Vierge en le concevant et vierge après sa naissance, c’est simple à comprendre. Mais pendant ? “
Et cependant, comme j’évoquais ce point-là comme irrecevable, il m’a dit avec détermination , et c’est la seule fois qu’il ait eu pour moi ce type de parole :
“C’est la foi de l’Eglise”.
Voilà. Même avec ce bon vieux moine cistercien rompu à la lectio divina, à l’observance et à la fidélité à ses vœux, un débat plus poussé s’avérait impossible.
“C’est la foi de l’Eglise”.
Je mesurai alors le poids de la Tradition, de l’empilement de doctrines plus ou moins heureuses que nul catholique n’ose plus – n’a plus le droit – de remettre en question à la lumière du bon sens, de la science, de l’expérience humaine et spirituelle, des Ecritures décortiquées et même de l’intimité avec le Seigneur qui continue, par l’Esprit Saint, à nous enseigner.
“C’est la foi de l’Eglise”, une fin de non-recevoir à la contestation de certaines doctrines voire de certains dogmes dans cette Eglise-là.
Très longtemps, je suis demeurée dans l’Eglise de mon baptême par fidélité, foi, attachement à la liturgie, souci de loyauté envers ma famille, surtout envers les générations familiales précédant la mienne. Jusqu’à en arriver au bord de l’implosion à force d’être bâillonnée dans mon exigence personnelle de vérité. Quitter cette Eglise, mais pour aller où ?
Formatée à la coercition en Eglise catholique, ne connaissant pas d’autre mode de croire que la foi monolithique d’un catéchisme qui nous est imposé de génération en génération, je n’imaginais pas que le voisin protestant soit plus libre dans sa foi. Je redoutais, passant la frontière entre ces deux confessions chrétiennes, que l’on veuille cette fois me formater au luthérianisme ou au calvinisme, que l’on m’impose de renier mes convictions catholiques, de l’intercession des saints à la présence réelle dans l’Eucharistie en passant par l’intérêt pour l’histoire sainte, l’apport de la mystique et l’attachement aux ordres religieux. Tout cela m’a très longtemps empêchée de “franchir le pas”, bien que le climat général délétère et le rejet de mes objections voire de ma personne en Eglise catholique m’aient occasionné des souffrances insignes. Et puis, mes ancêtres pratiquants étant tous décédés et mon vécu en paroisse frôlant l’insupportable, j’ai fini par pousser la porte d’une église luthérienne un jour de Pentecôte, puis d’une autre plus proche de chez moi pendant un an, et enfin, suite à mon déménagement tout récent, je m’intègre désormais, en l’absence de communauté luthérienne, à une grande paroisse réformée.
Et là, tout simplement, je goûte un accueil inconditionnel et chaleureux, et la culture du partage et du débat. Non, personne n’a voulu, depuis plus d’un an, me formater luthérienne ou calviniste. Je ne cache à personne mes profondes racines catholiques. Ma foi n’a pas bougé d’un iota. Je crois toujours en l’Evangile, au Christ Jésus comme mon Maître absolu, à la grâce du Carmel dont les grandes figures m’ont tellement inspirée, soutenue, nourrie.
Je repense à des amis est-allemands qui me disaient après la chute du mur, à la fois grisés et inquiets de l’avenir :
“Mais au moins, plus jamais enfermés comme nous l’étions alors”.
Voilà précisément ce que je ressens. Plus jamais enfermée dans une foi monolithique, dans un “prêt-à-penser”, dans un catéchisme qui s’impose et muselle, dans un cléricalisme qui étouffe et opprime. Plus jamais regardée comme dissidente, comme empêcheuse de tourner en rond. Plus jamais contrainte à ne pas être moi-même pour me fondre dans un moule.
Beaucoup de catholiques m’en veulent désormais de ce langage. Alors que je ne cherche à souligner qu’un seul aspect : la vérité dans la foi rend libre, la foi n’est pas une affaire d’héritage dans une tradition, ma foi n’a pas à être celle de saint Augustin, du catéchisme ou du pape. Ma foi me façonne et toute mon expérience de vie la nourrit et l’enrichit. Et si j’ai chevillé au cœur le désir d’évangéliser, à l’image de mes nouvelles amies diacres ou pasteures, plus aucun homme quel que soit son rang dans une église ne pourra me contraindre à croire et à vivre comme ceci et pas comme cela.
5 commentaires
Je crois, chère Véronique, que nous nous prenons les pieds dans des accessoires au risque de perdre l’essentiel. Que la Vierge soit vierge, qu’elle ne l’a plus été mais quelle importance ? Que le Christ soit Dieu, mort et ressuscité, que l’Evangile soit la parole de Dieu, sa lumière et sa volonté, voila l’essentiel et le seul.
” Car Toi seul est grand, Toi seul est Seigneur, Toi seul est le Très Haut” … Lui seul et personne d’autre. Tout le reste n’est que construction humain et sans importance.
Merci Guy pour cette contribution au débat, qui pourtant ne me semble pas inutile. Je l’ai exprimé souvent, la doctrine de la virginité perpétuelle n’est pas l’unique point de catéchisme que je conteste , et loin de là. J’en conteste d’autres aussi, et non des moindres. Pour autant, je ne suis pas d’accord pour estimer que ce soit là un point de doctrine accessoire.
Ce que je défends, c’est la cohérence dans la foi. L’Eglise catholique prétend posséder, conserver et enseigner les vérités essentielles de notre foi. Pour moi, l’incarnation, la filiation divine, la vie, la prédication, la mort et la résurrection du Christ Jésus ont acquis le statut d’évidences que je ne puis absolument pas contester, n’en doutant pas un seul instant. N’ai-je pas le droit, alors, d ‘aller plus loin, d’interroger en profondeur la doctrine et le dogme pour tenter d’y discerner la vérité de Dieu ? Ne suis-je pas légitime à questionner ce que l’on a tenté par tous les moyens de m’inculquer dès le berceau comme vérités incompressibles de foi ?
Or, la doctrine de la virginité perpétuelle n’est pas un détail mais un nœud, surtout dans une vie de femme chrétienne. Sans doute ne mesurez-vous pas, en tant qu’homme, ce que les doctrines mariales font peser comme joug sur les femmes catholiques dès leur plus tendre enfance. En érigeant comme modèle de foi et de mère une femme désincarnée, qui accouche en conservant intact son hymen, qui se refuse toute sa vie maritale à son légitime époux, qui s’abstient d’enfanter encore alors qu’elle est mariée, juive, et ce il y a 2000 ans, on impose à la femme catholique un modèle à jamais inatteignable.
Et parallèlement à ce culte d’une quasi déesse qui défie toutes les lois de la nature, des hommes catholiques s’arrogent sans se gêner le titre “d’alter Christus”, comme s’il était à leur simple portée de ressembler au propre Fils de Dieu, Lui qui sur terre a été et est définitivement sans péché, à l’immense différence de tous ses frères en humanité ! On voudrait donc nous faire croire qu’un homme peut ressembler au Christ en sa manière d’être et d’agir, autant dire ressembler à Dieu lui-même, tandis qu’une femme est condamnée à contempler une Madone qui na presque plus rien de la condition féminine ordinaire ?
Vous n’entrevoyez toujours pas, cher Guy, la supercherie de cette situation ?
Je dis, moi, que Marie est bien plus semblable aux femmes que nous sommes par sa grande capacité de foi – jusqu’au oui à l’opprobre annoncée d’être considérée comme fille-mère ou adultère dans son milieu après et malgré l’Annonciation – par sa maternité consentie et aboutie dans la précarité au début de la vie de son Fils premier-né, par sa vie conjugale véritablement vécue et son acceptation joyeuse et naturelle d’autres maternités plus “ordinaires” que la première – ces fameux “demi”-frères de Jésus qui ne croiront même pas en lui – par sa contemplation dans l’impuissance de la mise à mort de son Fils, par une vie ordinaire enfin de femme et de mère de famille à une époque où elles ne comptaient pour rien – je dis donc que Marie est bien plus semblable à toute femme que Jésus, le Fils de Dieu, ne peut être comparé à un homme pétri de péché. Les chroniques catholiques de la semaine passée nous en donnent une cruelle piqûre de rappel.
Donc, toutes ces doctrines mariales ne sont pas du tout des points de détail. Et révèlent au contraire des déviances théologiques séculaires qui démontrent tristement que si l’Eglise catholique depuis ses Pères a pu se tromper sur cette question-là, eh bien combien plus a-t-elle été capable de se tromper puis de persister à enseigner l’erreur sur des points doctrinaux infiniment plus lourds en conséquences ?
Je réfute l’idée qu’une Eglise quelle qu’elle soit possède en sa doctrine la Vérité ultime. C’est là ce que le catéchisme et le magistère voudraient nous inculquer. C’est là qu’il y a imposture. Car si Marie n’est pas Vierge perpétuelle, alors toute autre doctrine catholique se prête à discussion voire à contestation.
A trop vouloir s’octroyer le pouvoir par une pseudo Vérité revendiquée, cette Eglise s’est elle-même “tiré une balle dans le pied”.
Très beau.texte, Véronique.
Sur le plan biblique
Je pense que les Catholiques, comme les Protestants font de l’ exégèse et de l’ herméneutique.
D’ autre part la TOB, nous a tous obligé à améliorer la traduction.
(Traduction oecuménique de la bible)
Quant à la dogmatique, c’ est une autre affaire…bien humaine et pas toujours bien inspirée dans sa rigidité catholique.
votre réflexion me plaît beaucoup et je pense que nous sommes nombreux à nous y reconnaître. En ce qui concerne la Virginité de Marie, je me permets de transférer cet article de mon dictionnaire ‘Femmes que de mots pour vous dire’ (Bartillat) où j’analyse quelques 400 mots dont la langue française se sert pour parler des femmes. Voici donc l’article Vierge (en réponse à l’affirmation un peu dingue du Catéchisme, et son fondamentalisme gynécologique.
Vierge
Dès 980, sous la forme virge, issue du latin classique virgo, virginis, « jeune fille qui n’a eu de relations sexuelles avec aucun homme et dont l’hymen est intact ». A l’époque impériale le mot est appliqué à toute sorte d’objet au sens de « qui n’a pas encore servi ».
Devant cette définition, écartons d’emblée deux attitudes également insupportables :
1. Les divagations gynécolo-théologico-nigologiques autour de la « pureté » et de « l’intact ».
2. Les exigences propriétaires du mâle archaïque, ce dieu à qui il faut une vierge « lui-même ne l’étant guère ». Peur de la comparaison ? de la maladie ? goût des possessions exclusives ? satisfaction par la domination ?
Réfléchissons plutôt à la métaphore alpine, « un sommet vierge ». Les montagnes…c’était jadis tant de sommets jamais conquis par l’homme, comme autant de demoiselles. Ils le sont tous aujourd’hui, mais cela n’ôte rien à la puissance du symbole : l’image du sommet vierge permet de comprendre « l’intelligence de la virginité ». Loin de nous fixer sur une pureté originelle, la vierge nous invite à la hauteur, au dépassement ; elle est la figure de ce qui s’offre de plus beau à l’homme : l’élévation ! Gravir…en jouant sur le mot, vaincre le grave, la pesanteur. Cette « ascension » exige chez l’homme deux qualités à la fois opposées et complémentaires : la patience et l’audace. Après une lente et minutieuse approche, il faut de l’énergie dans la réalisation. Une fois le sommet conquis, passée l’ivresse d’un court moment d’extase, commence la descente…C’est un art ! La descente n’est pas une chute, elle est le temps de méditation offert à celui qui a gravi, le retour parmi les hommes avant de partager l’émerveillement et de faire des émules.
C’est l’essence même de la virginité que d’être non l’exclusive d’une unique consommation, mais l’invitation à renouveler toujours notre quête, sous d’autres formes, inconnues et plus hautes.
On pourra le réaliser de deux façons :
1. Par l’exploration toujours plus fine d’une même réalité. Ainsi ces alpinistes multipliant les voies sur une montagne qui les fascine. Ainsi ces vieux couples se découvrant constamment neufs sous les caresses et continuellement vierges dans le désir de l’autre.
2. Par l’attrait de réalités plus exigeantes encore. Ainsi, d’autres sommets…Mais halte-là vieille canaille, ce n’est pas un appel à multiplier les conquêtes féminines (encore certains l’entendent-ils ainsi), mais plutôt à mener son couple vers un plus haut niveau de réjouissances.
Le donjuanisme n’est qu’une perversion de cette possibilité. Don Juan, c’est le toujours vieux. A travers l’illusion de la nouveauté, c’est perpétuellement la même femme qu’il possède, puisqu’il ne connaît rien de chacune. Il cumule les sommets, mais il ne gravit rien, lourd qu’il est, massif ! Il ne progresse point, il réitère. Amoureux des onze mille vierges, il déflore sans fleurir.
La virginité n’est donc point la préservation du neuf, elle en est le renouvellement continu par ce qui fut généreusement livré à un idéal sans détour.
De ce point de vue, on comprend le sens religieux du mot :
Dans l’Antiquité, « personne de sexe féminin ayant toujours vécu dans la continence et chargée du service d’une divinité ».
Dans la religion catholique, « femme célibataire, vivant dans une continence parfaite, consacrée au service de Dieu, et reconnue par l’Eglise ».
Dieu ne se trouve que dans une percée à travers le quotidien : des amours annexes parasiteraient cette quête. Par-là, on évoquera moins le ritualisme d’une vestale entretenant le foyer (la popote religieuse) que la sainteté d’une Thérèse d’Avila, pénétrées par les rayons brûlants d’un Dieu d’amour (érotisme mystique).
Quand bien même on n’adhèrerait pas aux mystères chrétiens, la triple expérience propre à la Vierge marie : Annonciation, Visitation, Assomption-, pourrait résumer la destinée promise à chaque femme.
Annonciation : de façon inattendue, un désir vous prend, une idée germe…si surprenants que vous vous y abandonnez comme à une vérité.
Visitation : vous les mûrissez, vous les partagez et vous les sentez danser au fond de vos entrailles.
Assomption : au bout des années, des joies et des épreuves, ils vous emportent, très haut, pour quelque chose de très beau qui couronnera votre vie de femme.
Toute femme porte en elle un dieu qu’elle doit abriter, élever, partager et libérer pour son propre accomplissement. Et l’homme qui voit cela, l’accompagne et l’exalte, il ne peut rien lui arriver de meilleur !
Bonjour Véronique : j’ai l’impression de me relire en vous lisant, tellement ce que vous avez vécu et ce que vous vivez en ce moment est proche de ce que j’ai moi-même vécu, malgré que nous ayons des vies totalement différentes. Pour ce “mur” dogmatique qu’exprimait votre ami cistercien, en disant “c’est la foi de l’Église”, Je ne pense pas que ce soit un problème théologique ou religieux, mais tout simplement un problème psychologique, voire cognitif. L’homme AIME CROIRE… VÉNÉRER… OBÉIR… Et cette recherche d’un certaine SECURITE INTÉRIEURE aboutit à ces dénégations du réel, à ces impossibilité d’enrichir la foi par le doute, le libre examen, le fait que des récits peuvent avoir une pluralité de motivations, de sources, et d’interprétations. C’est de toute façon incompatible avec le mode de fonctionnement hiérarchique et pyramidal tel que le catholicisme le pense, des hautes sphères du Vatican jusque dans la plus humble des chapelles au fin fond de la campagne. A notre époque, dans laquelle on valorise le management dit “horizontal”, dans notre société, dite “liquide”, et où chacun semble (semble seulement) libre de faire ce qu’il lui plait, se couler dans une obéissance rigide à des dogmes et des traditions me semble une grave faiblesse et un obstacle à l’épanouissement de la foi, autant qu’à l’esprit missionnaire. Ce n’est pas pour autant que le relativisme soit une vertu, mais notre foi à le droit d’évoluer et de grandir, et nous avons le droit de passer des certitudes enthousiastes de la jeunesse à une vision bien plus distanciée des choses. Le dogme de la virginité perpétuelle nous apprend moins de choses sur Marie qu’elle ne nous éclaire sur la société des premiers siècles chrétiens, ses courants philosophiques, sa conception de la façon dont le transcendant a fait irruption dans ce monde, en s’incarnant, et aux besoins de l’âme humaine d’intégrer une figure maternelle au milieu de concept très masculins (Père, Fils, St Esprit…) le “pneuma” grec n’ayant plus rien à voir avec la “rhua” juive, d’essence féminine. C’est ainsi que s’écrit l’histoire des peuples, des idées et des religions. Mais derrière, des vérités éternelles se cachent, et c’est une grande liberté que d’avoir le droit d’y réfléchir, de procéder à un “bénéfice d’inventaire” et de mener son propre chemin. Que Dieu vous bénisse et vous offre une belle journée.