1 Au chef des chantres. Sur les lis. Des fils de Koré. Cantique. Chant d’amour.
Des paroles pleines de charme bouillonnent dans mon coeur. Je dis : Mon oeuvre est pour le roi ! Que ma langue soit comme la plume d’un habile écrivain !
2 Tu es le plus beau des fils de l’homme, La grâce est répandue sur tes lèvres: C’est pourquoi Dieu t’a béni pour toujours.
3 Vaillant guerrier, ceins ton épée, -Ta parure et ta gloire,
4 Oui, ta gloire ! -Sois vainqueur, monte sur ton char, Défends la vérité, la douceur et la justice, Et que ta droite se signale par de merveilleux exploits !
5 Tes flèches sont aiguës ; Des peuples tomberont sous toi ; Elles perceront le cœur des ennemis du roi.
6 Ton trône, ô Dieu, est à toujours ; Le sceptre de ton règne est un sceptre d’équité.
7 Tu aimes la justice, et tu hais la méchanceté : C’est pourquoi, ô Dieu, ton Dieu t’a oint D’une huile de joie, par privilège sur tes collègues.
8 La myrrhe, l’aloès et la casse parfument tous tes vêtements ; Dans les palais d’ivoire les instruments à cordes te réjouissent.
9 Des filles de rois sont parmi tes bien-aimées ; La reine est à ta droite, parée d’or d’Ophir.
10 Écoute, ma fille, vois, et prête l’oreille ; Oublie ton peuple et la maison de ton père.
11 Le roi porte ses désirs sur ta beauté ; Puisqu’il est ton seigneur, rends-lui tes hommages.
12 Et, avec des présents, la fille de Tyr, Les plus riches du peuple rechercheront ta faveur.
13 Toute resplendissante est la fille du roi dans l’intérieur du palais ; Elle porte un vêtement tissu d’or.
14 Elle est présentée au roi, vêtue de ses habits brodés, Et suivie des jeunes filles, ses compagnes, qui sont amenées auprès de toi ;
15 On les introduit au milieu des réjouissances et de l’allégresse, Elles entrent dans le palais du roi.
16 Tes enfants prendront la place de tes pères ; Tu les établiras princes dans tout le pays.
17 Je rappellerai ton nom dans tous les âges : Aussi les peuples te loueront éternellement et à jamais.
Psaume 44(45) Traduction de Louis Segond
En ce jour où les catholiques fêtent l’Assomption de Marie, c’est à dessein que je m’arrête sur le Psaume 44 (45) proposé à la liturgie de la messe de ce jour, et ce, tout à fait exceptionnellement pour moi qui cite habituellement la Bible de l’AELF, dans la traduction de Louis Segond. Que les grinceurs de dents habituels n’en déduisent pas aussitôt que c’est parce que j’aurais “viré de bord”, que je me serais définitivement “convertie” au protestantisme. Il n’en est rien, qui me lit avec honnêteté le sait. Tout en pratiquant depuis un an ma foi en Eglise protestante, je garde un lien personnel fort à Marie dans ma foi et ma prière, et j’ai d’ailleurs l’intention d’aller aujourd’hui à une messe de l’Assomption dans une grande église dédiée à Notre-Dame.
Mon propos n’est donc pas du tout de contrer le dogme de l’Assomption de Marie, auquel j’ai l’heur d’adhérer. Je cherche plutôt à souligner la non-pertinence du choix du psaume 44 (45) dans la liturgie de cette fête.
Je viens de lire en ligne ce document paru en 1970 :
https://www.erudit.org/fr/revues/ltp/1970-v26-n3-ltp0978/1020189ar.pdf
“L’Église, Épouse du Christ, dans l’interprétation patristique du Psaume 44 (45)” (II)
par Lucien Robitaille
Fort intéressant, ce petit traité de théologie retrace les interprétations et commentaires qui ont eu cours sur ce psaume 44 (45) depuis les commentaires hébraïques et surtout à l’époque des Pères de l’Eglise dont l’influence ecclésiale se fait ressentir jusqu’à aujourd’hui. Ainsi, pour résumer ce document, est-on progressivement passé de l’allégorie Dieu / Peuple élu d’Israël à celle fortement défendue par les Pères de l’Eglise de Christ ./ Eglise son épouse qui serait prophétisée par cet écrit de l’Ancien Testament, et ce bien avant l’avènement du Seigneur.
Ainsi, saint Augustin de déclarer :
« Je ne crois pas qu’on puisse avoir perdu l’esprit au point de croire qu’on célèbre et décrive ici une femme quelconque : il va de soi que c’est l’épouse de Celui auquel il est dit :
“Ton trône, ô Dieu, est dans les siècles des siècles.” [Fin de citation]
Et tous les Pères s’accorderont sur ce point, s’inspirant de la théologie de l’Apôtre Paul sur le “couple” Christ / Eglise.
Que l’on m’autorise une objection personnelle que j’avance souvent : dans une telle expression, qu’est-ce que l’Eglise ? L’ensemble des baptisés ? Plus restrictif : l’ensemble des fidèles ? L’Eglise en sa hiérarchie de gouvernement ?
Sentant peut-être ce flou du concept “Eglise”, toujours d’après ce document, les Pères ont glissé vers l’application du mot également à l’âme chrétienne (je cite ) :
Ce que le psalmiste dit de l’épouse (verset 10), de même que le discours qu’il lui adresse (verset 11 et sv.), les Pères ne l’ont pas compris seulement comme s’adressant à l’Église ; ils l’ont aussi appliqué à l’âme chrétienne. On peut dire que cette interprétation est unanime. On la retrouve exposée explicitement chez tous les Pères à partir de Clément d’Alexandrie ; Origène, saint Basile, saint Jean Chrysostome, saint Ambroise et saint Jérôme la développent de façon remarquable.
La raison de ce passage de l’Église à l’âme de chaque chrétien est évidente et très simple. Dès lors qu’on identifiait l’épouse à l’Église venant des nations et qu’on reconnaissait en elle la « congregatio fidelium », il était normal qu’on pensât à chacun des fidèles. [ Fin de citation ]
Puis on va encore glisser de l’âme chrétienne à l’état de vie considéré comme son plus parfait accomplissement : la vierge consacrée (Saint Ambroise et saint Jérôme).
De là, comme il est coutumier en Eglise catholique, on va souligner que le modèle de la vierge consacrée étant la Vierge Marie, mère du Seigneur, la “fille de Roi” du psaume pourrait être la Vierge Marie. Je cite encore Lucien Robitaille:
Saint Athanase attribue ici aux versets 11 et 12, considérés d’une manière globale, un sens exclusivement marial : David parle à sa fille ; or, cette fille est celle que l’ange Gabriel appellera « pleine de grâce “. Cette interprétation prolonge celle qu’Athanase avait donnée des versets précédents du psaume : elle affirme plus fortement encore la réalité de la venue du Fils de Dieu dans la chair humaine. [Fin de citation)
Saint Jérôme et saint Ambroise lui emboîteront le pas :
Lorsque saint Ambroise et saint Jérôme proposent Marie comme modèle à l’âme en quête de la beauté intérieure de l’épouse, ils font un pas de plus. Ils ne considèrent pas la Vierge comme une âme au même niveau que les autres fidèles ; par le fait même qu’ils la proposent comme modèle, ils la situent au-delà de la voie commune. [Fin de citation].
Et voilà, la boucle est bouclée. Tandis qu’Augustin refusait l’idée que face au Christ Jésus symbolisé à l’évidence dans le Roi du début du Psaume 44 (45), la jeune future reine s’avançant vers lui pût être vue comme une femme (voir la première citation ci-dessus), avec Ambroise et Jérôme, on arrive allègrement à la personnification de cette reine en Marie.
À vrai dire, il n’y a que les commentaires de saint Jérôme et saint Ambroise qui situent la Vierge dans la perspective nuptiale propre au texte sacré. Eux seuls considèrent Marie comme l’épouse mystique qui réalise en son âme un intense dialogue intérieur avec le Christ. Eux seuls mettent en relief l’union spirituelle établie dans la foi entre la Vierge et le Christ, union qui fait de Marie, en même temps qu’elle est sa mère, l’épouse mystique de son Fils. [Fin de citation]
Force est de constater que seize siècles plus tard, leur pensée prédomine dans l’Eglise catholique post Jean-Paul II à la mariologie – pour ne pas dire mariolâtrie – exacerbée. Et que le psaume 44 (45) lu et médité en ce jour de l’Assomption semble couler de source comme une ode à Notre-Dame considérée sans sourciller non seulement comme la mère du Christ Jésus, ce qu’elle est indéniablement, mais encore comme son “épouse mystique”, ce qu’elle ne saurait être en tant que sa mère, je considère qu’il n’y a qu’une assemblée d’hommes célibataires n’ayant peut-être pas complètement résolu leur Oedipe pour avoir pu élaborer une pensée pareille. Une femme, qui au demeurant est une créature comme nous à sa naissance, “épouse” de son propre fils ! On atteint là des sommets d’incohérence, que ce soit dans l’interprétation de ce psaume ou dans celle du Cantique des cantiques ; il faut être particulièrement prude et éthéré pour être aveugle aux accents érotiques suggérés par ce texte entre le Bien-Aimé et la Sulamite.
Ainsi, à force de désincarner et symboliser tous les textes bibliques qui parlent de l’amour entre un homme et une femme, on en vient à cette théologie mariale excessive qui consiste à mettre Marie partout aux côtés de Jésus quand il s’agit de la vision d’une femme aux côtés du Messie, que ce soit dans les Noces de Cana où c’est effectivement sa mère qui l’incite à accomplir un premier signe, ou au terme de l’Apocalypse où il est question de l’Epouse de l’Agneau pour ses Noces éternelles, épouse qui cette fois ne saurait être sa propre mère !
“Celui à qui l’épouse appartient, c’est l’époux” ( Jean 3,29), les théologiens vont encore nous dire que l’épouse, c’est l’Eglise “sainte et immaculée” (euh, par les temps qui courent…) pour ne pas exprimer franchement qu’ils y verraient bien une fois de plus la Vierge Marie. Je trouve scabreuse l’idée d’associer au Messie incarné dans une chair d’homme sa mère comme épouse, mais on va encore me rétorquer que c’est moi qui ai les idées mal placées, que tout cela est symbolique et mystique, que Marie est la “toute pure”, préservée de tout péché et qu’on peut par conséquent lui attribuer une place d’omniprésence aux côtés du Rédempteur sans aucun risque d’interprétation déviante. Et voilà ainsi la porte ouverte à tous les excès mariolâtres, des consécrations douteuses du style “Cœurs unis de Jésus et Marie” aux délires œdipiens de Maria Valtorta.
Je vais me faire encore quelques ennemis, mais j’affirme ici que le choix liturgique du psaume 44 (45) pour une fête dédiée à Notre-Dame est malheureux. En aucun cas, la fille de Roi menée au Messie pour des noces amoureuses ne peut, dans ces lignes magnifiques, prophétiser sa propre mère. Si le psalmiste a été ici prophète, et je le crois profondément, il a prophétisé une autre femme, une bien-aimée du Seigneur ayant toute sa complaisance et objet des désirs amoureux du Messie incarné, une femme choisie par lui pour régner à ses côtés pour l’Eternité, celle-là même suggérée dans le Cantique des cantiques et évoquée en Apocalypse 21, “l’Epouse de l’Agneau”, la Jérusalem d’Isaïe 62 qui n’est ni une ville, même céleste, ni l’Eglise depuis bien longtemps ni sainte, ni immaculée, ni une nation, ni la mère de Jésus… Une femme, une autre femme qui bénéficie déjà de la prédilection de son Seigneur, depuis toujours et pour l’éternité.
A l’humanité de se préparer à lui faire une place, bien inattendue, dans son cœur et dans son paysage religieux.
“Car mes pensées ne sont pas vos pensées, Et vos voies ne sont pas mes voies” . Isaïe 55, 8
Image : Cantique des cantiques, Le peintre Benn
2 commentaires
Merci beaucoup Véronique, pour votre analyse éclairé et profond et non, vous ne divaguez pas, en ce jour de l’ascension, j’ai désiré également approfondie le sens et les textes du jour et je suis tombée sur votre blog qui est magnifique ;
Oui. Il est grand le mystère de la foi. Quoiqu’ en soit, nous proclamons sa gloire, nous célébrons sa résurrection et attendons sa venue…
Il est également important et intéressant suite à votre analyse d’approfondir ce verset dans Jean 14:9-12 Bible J.N. Darby (JND) Jésus lui dit : Je suis depuis si longtemps avec vous, et tu ne m’as pas connu, Philippe ? Celui qui m’a vu, a vu le Père ; et comment toi, dis-tu : Montre-nous le Père ? Ne crois-tu pas que moi, je suis dans le Père, et que le Père est en moi ?
D’où je vous rejoins dans le questionnement de vos propos ” En aucun cas, la fille de Roi menée au Messie pour des noces amoureuses ne peut, dans ces lignes magnifiques, prophétiser sa propre mère.
Si le psalmiste a été ici prophète, et je le crois profondément, il a prophétisé une autre femme, une bien-aimée du Seigneur”.
Peut-être s’agit-il de Marie-Madeleine (Marie de Magdala). La bien-aimée du Christ ?
Effectivement, comme il est dit selon St-Matthieu 16:22-23 LSG ; Mais Jésus, se retournant, dit à Pierre : Arrière de moi, Satan ! tu m’es en scandale ; car tes pensées ne sont pas les pensées de Dieu, mais celles des hommes.
Il y a également ;
Jean 17:11. Je ne suis plus dans le monde, et ils sont dans le monde, et je vais à toi. Père saint, garde en ton nom ceux que tu m’as donnés, afin qu’ils soient un comme nous.
Car il est dit dans Romains 12
“… 4 Car, comme nous avons plusieurs membres dans un seul corps, et que tous les membres n’ont pas la même fonction, 5 ainsi, nous qui sommes plusieurs, nous formons un seul corps en Christ, et nous sommes tous membres les uns des autres. 6 Puisque nous avons des dons différents, selon la grâce qui nous a été accordée, que celui qui a le don de prophétie l’exerce selon l’analogie de la foi…”
Mais cela équivaut pour chacun d’entre nous… Merci pour ce beau partage et oui, il nous faut méditer, prier, étudier, chercher et laisser le St-Esprit nous guider, nous parler et murmurer à notre cœur. Il est grand temps que nos Églises, Protestants, Catholiques, Pentecôtistes, Évangéliques, Orthodoxe, etc soyons UNIS. Nous avons tous fait des erreurs. Je suis comme vous, enfin presque lol, je suis Catholique et j’aime également suivre les cultes protestants Soyez puissamment bénis.
DeeDee
Merci Daniel pour votre aimable commentaire.
Je rebondis sur votre suggestion de Marie de Magdala comme bien-aimée du Seigneur : non, je ne pense pas qu’il s’agisse d’elle, qu’il considérait plutôt comme sa grande amie.
S’il s’agit d’une femme de l’Evangile, alors bien plutôt une autre Marie : Marie de Béthanie…
https://www.histoiredunefoi.fr/meditations-bibliques/6602-histoire-de-marie-de-bethanie-un-secret-doraison