A la faveur d’un séjour prolongé en Savoie, j’ai profité de ce dimanche baigné d’un soleil radieux pour rejoindre ce matin un lieu très cher à mon cœur : l’abbaye Notre-Dame de Tamié. Je la connais depuis plus de quarante ans, et j’y ai effectué plusieurs retraites de Carême il y a une dizaine d’années. J’y compte de vrais amis parmi les frères. Certains ont quitté Tamié, d’autres sont entrés dans la paix et la joie de leur Seigneur et maître en serviteurs fidèles, et le frère le plus cher à mon cœur, avec lequel j’ai eu maints échanges très profonds de vive voix ou par écrit pendant des années est désormais à l’infirmerie, un peu perdu dans sa tête de nonagénaire mais toujours lumineux de foi et de gentillesse.
Ce matin donc, je me suis offert le bonheur d’aller à la messe à l’abbaye, ce que curieusement je n’avais jamais vécu un dimanche car mes retraites ont toujours eu lieu en semaine. Mon cher frère ami n’était pas dans le chœur, cela doit être trop compliqué pour lui désormais, mais je lui ai fait remettre un petit mot de ma part.
Quelle émotion de participer à cette messe sobre, belle, recueillie, sur des textes forts en ce vingt-sixième dimanche du temps ordinaire de l’année B ! C’était le nouveau Père Abbé qui la présidait et qui a donné une homélie touchante et ajustée. Son propos était en substance de ne pas rejeter hors de nos cercles respectifs qui n’en fait a priori pas partie, et de ne pas croire que l’Esprit ne puisse souffler hors de nos lieux personnels de culte rendu à Dieu. Cela ne pouvait que me parler en profondeur, moi qui me sens encore catholique quand je me trouve dans une église pour une célébration ajustée, où l’ouverture d’esprit et la ferveur, dans le recueillement, sont palpables. Tamié, abbaye cistercienne trappiste, a toujours été particulièrement ouverte d’esprit, prompte au dialogue, enrichissante sur le plan du chant liturgique. De toujours je m’y suis sentie bien, et c’était encore le cas ce matin pour cette messe dominicale, bien que je participe désormais semaine après semaine à des cultes protestants.
Je le redis, je ne renie rien de mes origines et connaissances catholiques. Le déroulé d’une messe est imprimé en moi depuis ma plus tendre enfance et pour toujours. Je n’y suis pas une étrangère ni une paria. Pas même une hérétique, comme me le lancent à la figure ceux qui se pensent plus authentiquement catholiques que je ne le suis. Ce que je ne confesse pas dans la doctrine catholique est infime par rapport à ce que je suis en mesure d’y confesser. Le Credo ne me pose aucun problème, sinon que je préfère croire en l’Eglise Universelle, si on daignait vraiment mettre derrière la catholicité de l’Eglise ce sens-là.
Ce matin, j’étais émue car nostalgique du recueillement que l’on peut trouver dans une messe et qui est moins accessible dans un culte protestant, car les temps de silence et de méditation y sont moins présents. A Tamié, la liturgie ne me pèse pas car elle est belle et épurée. Et les fidèles qui viennent là transpirent la foi, ce qui est bien réconfortant, les sourires ou gestes de paix échangés ont un goût de sincérité.
Il y a quelques mois, alors que j’étais déjà sérieusement engagée dans la pratique protestante, je suis allée trouver un prêtre rédemptoriste pour lui poser une question qui me tenait à cœur. Comme ce dialogue n’était pas scellé dans le secret de la confession, je peux en parler. Je lui ai fait part de mon cheminement à la croisée de ces deux Églises, il m’a écoutée avec respect. Et je lui ai demandé si, quand je me trouve occasionnellement à une messe – obsèques ou fête familiale, ou comme ce matin – j’étais encore légitime à recevoir la communion. Ce prêtre a accueilli mon témoignage, ma foi, mon engagement envers le Seigneur comme profonds et authentiques et m’a encouragée à écouter mon cœur et mes intentions les plus sincères. Et ne m’a pas posé d’interdiction à communier en l’Eglise de mon baptême.
Je suis consciente que certains lecteurs rigoristes puissent en être choqués. Mais je réaffirme ici ma foi en l’Eucharistie : j’y discerne le Corps et le Sang du Seigneur, et à ce titre je ne pense pas galvauder ce sacrement. Il était donc tout naturel pour moi ce matin de communier, là à Tamié où j’ai déjà vécu tant de grâces et où je me trouvais ce matin en osmose avec les frères moines et les fidèles présents. La communion prenait alors tout son sens : communier au Corps du Christ et dans la foi qui nous lie entre chrétiens.
Dans ma prière, j’ai alors dit au Seigneur que l’œcuménisme traversait mon âme et ma chair comme une croix. Je ressentais très profondément Sa présence tandis que le magnifique chant de communion “Regardez l’humilité de Dieu” résonnait dans cette église bénie. J’étais au bord des larmes, comme une catholique en exil mais cependant convaincue de la pertinence de ses choix. Là, dans un lieu catholique très cher à mon cœur, je goûtais à la douceur de mon Seigneur dont je sais qu’il m’appelle sur d’autres rives, aux croisées des chemins chrétiens, au carrefour des célébrations sincères de notre amour pour Lui et de son amour pour nous. Le dire, l’annoncer, l’écouter, le recevoir, le chanter, le partager, oui je peux le vivre à une messe et je peux le vivre à un culte protestant. J’ai au cœur un immense désir de foi sincère et partagée. Je voudrais le meilleur de chaque Église en un seul culte à Dieu. La foi, la Parole, la ferveur, la prière, le recueillement, l’intercession, le chant, la musique méditative, la communion et l’offrande en un seul lieu réconcilié autour de la Vérité, dans le souffle de l’Esprit.
Oh Seigneur, fais qu’une telle harmonie soit possible un jour, un jour prochain, pour ta gloire et notre consolation, à nous tes frères et sœurs si divisés !
3 commentaires
J’ai vécu pendant de nombreuses années avec ma compagne camerounaise de confession presbytérienne. Nous vivions en Alsace et fréquentions indifféremment la paroisse protestante et la paroisse catholique dont le pasteur et le prêtre travaillaient en parfaite intelligence. Communier à la messe ou lors d’une Sainte Cène nous était habituel. C’était toujours avec le Christ et avec l’Eglise que nous communions.
Moi également, je me sens plus proche de la confession d’Augsbourg que de la doctrine romaine. Je demeure toutefois dans l’Eglise catholique romaine parce que je crois qu’elle est l’héritière « légitime » de l’Eglise fondée par les apôtres. Mon espoir est qu’un jour, elle fasse fi de ses divergences doctrinales avec les autre Eglises et que, renonçant à imposer certains de ses dogmes non bibliques, elle accueille tous les chrétiens qui confessent le même Credo. Elle serait alors « vraiment catholique ».
Par ailleurs, cette communion et cette amitié que vous vivez avec Tamié, je la vis avec l’Abbaye bénédictine d’En Calcat dont je suis oblat. En Calcat est d’ailleurs très ouverte à l’œcuménisme et au dialogue inter-religieux. Leur liturgie est une heureuse synthèse entre la tradition bénédictine et les apports conciliaires.
Fraternellement,
Comment ne pas être d’accord avec vous ! Je n’en suis pas encore au point de rejoindre nos frères protestants, même s’il m’arrive parfois de participer à des cultes et de m’y sentir très à l’aise ; mais je vous avoue parfois me poser la question lorsque je vois ces focalisations sur la liturgie, la louange, l’adoration et que, parallèlement le service du frère est négligé.
Je fais partie de la Communauté de vie chrétienne (CVX), mouvement plutôt catho de spiritualité ignatienne, et heureusement. Car sans elle, j’aurais probablement quitté l’Église lorsque j’ai appris ses attitudes à la suite des scandales sexuels (surtout qu’un ami prêtre, victime, a été mis au ban de mon diocèse parce qu’il hurlait trop !).
Je suis aussi très engagé au Secours… catholique et, là encore, heureusement. Et ceux qui j’y rencontre, cathos comme moi, sont ce visage de l’Église que j’aimerais tant voir dans nos sacristie enfumées d’encens.
Et ce que vous dites de Tamié me ravit car ce fut l’une des abbayes où œuvra un ami prêtre-musicien, le père Marcel Godard dont la musique est autre chose que la “pop louange”.
Fraternellement
Merci beaucoup à vous pour cette contribution, je vous comprends aussi parfaitement ! Oui, la mise en œuvre concrète de l’Évangile est un indice fort et indispensable d’une foi mature et féconde. Se focaliser sur les aspects liturgiques à outrance ne ressemble pas à l’attitude du Christ Jésus du temps de son incarnation.
Bien à vous,