Zacharie 12, 10-12a. 13, 1
Psaume 62
Galates 3, 26-29
Luc 9, 18-24
QUI PERD GAGNE
L’évangile de ce dimanche commence par une notation brève mais capitale car elle ouvre toute la suite.
Un jour Jésus priait à l’écart.
A tous les moments importants de sa vie, Luc note que Jésus priait : lors de son baptême, il priait (3, 21) ; assailli par les foules quémandant des guérisons, il se retirait pour prier (5, 16) ; avant de choisir les 12 apôtres, il passa une nuit en prière (6, 12) ; il prie avant d’enseigner le « Notre Père » (11, 1) ;….. il mourra en priant (23, 46). Pourquoi ?
Parce que Jésus a reçu une mission capitale de Celui qu’il appelle avec affection « Abba – Père » et il entend l’accomplir à la perfection. Il ne lui suffit pas de prendre des initiatives audacieuses, de se lancer dans l’action avec générosité : il ne veut rien inventer de lui-même, il entend agir au moment où il le faut.
Car Jésus n’est pas un robot programmé pour réaliser une tâche fixée. S’il se jette perpétuellement dans la prière, c’est justement parce qu’il n’est pas un automate ni un adolescent se figurant naïvement que la liberté, c’est de faire ce que l’on veut – alors qu’elle est l’accomplissement d’un être qui répond à l’Amour divin. Seule l’écoute, longue, attentive, patiente, peut lui souffler (par l’Esprit) l’initiative à prendre et le moment précis pour telle action.
Ici, après des mois de circulation à travers la Galilée, Jésus pressent qu’il est arrivé à un tournant de son existence : une décision grave est à prendre. Que faire maintenant ? Où aller ? Dans la nuit et la solitude, il prie, il demande réponse à son Père. Et il a obtenu une révélation glorieuse mais sanglante !
Comme ses disciples étaient là, il les interrogea : « Pour les gens qui suis-je ? ».
Ils répondent : « Jean-Baptiste ; pour d’autres Elie ; ou un prophète d’autrefois qui serait ressuscité». Jésus leur dit : « Et vous que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? ».
Pierre prit la parole : « Le Messie de Dieu ».
Jésus a d’abord été célèbre pour ses guérisons miraculeuses qui lui attiraient des foules enthousiastes. Comme il prêchait et annonçait que Dieu venait, avec lui, inaugurer son Règne, on le prit pour un prophète : dans la lignée d’Elie et d’Isaïe, de Jérémie et Jean-Baptiste, il devait être un envoyé spécial de Dieu chargé de convertir les mœurs. Toutefois ses comportements et ses déclarations sur lui-même déconcertaient et scandalisaient : il fréquentait des pécheurs, il offrait le pardon de Dieu, il observait le shabbat avec beaucoup de liberté, il se disait même « l’Epoux » d’Israël (privilège de Dieu !). Toutes choses inouïes, que nul n’avait faites avant lui.
« Qui était donc cet homme ? » qu’on ne pouvait ranger dans aucune catégorie (5, 21 ; 7, 49 ; 8, 25). Même le roi Hérode, dans son palais, était intrigué par ce qu’on lui rapportait à son sujet (9, 9)
Ici maintenant Jésus interpelle directement les siens : nous vivons ensemble depuis des mois, vous avez tout vu et entendu. Ne répétez pas des rumeurs, des on-dit ; prononcez-vous vous-mêmes, dites franchement votre conviction.
C’est la question à laquelle chacun de nous doit répondre de façon personnelle. Pas répéter un catéchisme ni garder une opinion secrète car la foi chrétienne est option personnelle et confession orale.
Tout de suite l’impétueux Simon-Pierre s’élance et, pour la première fois, un homme exprime ce qui sera la confession de foi de l’Eglise : « Pour moi, je crois que tu es le Messie de Dieu ». Donc non pas un prophète, si grand soit-il, mais réellement le Sauveur que les Ecritures annonçaient à demi-mot et qui brûlait l’espérance d’un peuple opprimé depuis plus de 90 ans.
Juste réponse. Mais Pierre et les autres qui rêvent d’indépendance nationale sont loin d’imaginer la révélation que Jésus va leur confier. Comme si la foudre s’abattait près d’eux !
Jésus leur défendit vivement de le révéler à personne en expliquant :
« Il faut que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les Anciens, les chefs de prêtres et les scribes, qu’il soit tué et que, le 3ème jour, il ressuscite ».
Mystérieux « il faut » qui revient plusieurs fois à travers les 4 évangiles et qui peut être mal compris. Il ne signifie pas que Dieu a établi pour son Fils un destin qui le vouerait à la mort. Dieu n’est pas une idole avide de sang. Mais il veut que son Fils poursuive l’accomplissement de son dessein : ouvrir une société au règne de Dieu.
Or, depuis quelque temps, on a fait comprendre à Jésus que ce qu’il dit et fait est intolérable, qu’on ne peut le laisser poursuivre ce qui apparaît aux autorités religieuses comme un blasphème. Luc a dit peu avant : « A la sortie de la synagogue, scribes et pharisiens étaient remplis de fureur et ils parlaient entre eux de ce qu’ils pouvaient faire à Jésus » (6, 11). Point n’est besoin d’être devin, Jésus sait que la capitale est prévenue de ses faits et gestes et de ce qui est en train de naître en Galilée : y aller c’est se jeter dans la gueule du loup. Il ne peut se taire ni essayer de se faire accepter en édulcorant l’acidité de son message. Il se heurtera au refus catégorique et sera condamné à la mort. Mais son Père ne pourra abandonner son fils qui aura accompli son œuvre jusqu’à en mourir donc qui aura aimé jusqu’au bout – et il lui rendra la vie. Et c’est ainsi que, paradoxalement, s’ouvrira le Royaume de Dieu.
Un Messie que l’on va tuer ? Scandale impensable ! Mais ce n’est pas tout.
Tout à coup à côté des apôtres, la foule est présente si bien que Jésus lance un appel qui s’adresse à chacun et chacune. Phrase choc qui est la plus répétée dans les 4 évangiles (6 fois) tellement elle est dure à entendre. Nous nous rebiffons : « faut-il » vraiment aller jusque là ?…
Jésus dit à la foule : « (traduction liturgique rectifiée) Si quelqu’un veut venir derrière moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix chaque jour et qu’il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie pour moi, la sauvera ».
Jésus a pris sa décision, il s’est engagé et rien ne l’arrêtera. Maintenant il propose : quiconque croit en lui et veut rester disciple (« chrétien » en acte) doit nécessairement prendre la même décision. En totale liberté : « Si… ». C’est dire que l’annonce et la venue du Règne de Dieu devront se poursuivre inlassablement et se heurteront, partout et jusqu’à la fin des temps, au même refus, à la même haine.
De qui ? D’abord de la part des autorités religieuses chargées du temple. Puis ce seront les autorités romaines, puis les autres, toutes les autres…même parfois les autorités de l’Eglise de Jésus. Incroyable possibilité mais qui, de fait, s’est réalisée bien des fois au cours de l’histoire. Tant de saints, de théologiens, de fidèles ont, comme Jésus, et à sa suite, dénoncé les abus de pouvoir des dictatures, les dérives d’un système religieux (à étiquette chrétienne !!) et ont été écartés, condamnés, emprisonnés !
Dans cette lutte terrible, il ne faudra pas user de violence, enlever la vie des opposants mais au contraire, donner la sienne. La mission assumée par tout disciple l’obligera au don de soi. A certain moment, comme Jésus, il devra renoncer à sa tranquillité, à ses fausses idées sur le bonheur, à ses rêves d’un salut facile. La vérité l’obligera non à s’infliger des petites pénitences, à se résigner, à se plaindre mais à affronter l’adversité. Le disciple ne fait pas sa croix : ce sont les autres qui la confectionnent et la lui imposent. Elle n’est pas contretemps fâcheux, épreuve passagère, vite surmontée : elle devient sa charge quotidienne (« chaque jour »)
Devant les perspectives de souffrances, la tentation sera permanente de vouloir à tout prix se préserver, de suivre les chemins de bonheur que le monde fait miroiter de façon si agréable, si insidieuse. Que de fois nous nous laissons prendre par la musique enjôleuse des médias qui savent si bien nous inciter à « sauver notre vie » (comme le serpent de la Genèse !). On essaie de nous faire croire qu’il est possible de juxtaposer certains comportements païens et la foi : c’est et ce sera toujours rigoureusement impossible. « Qui veut sauver sa vie la perdra ».
Comme vient de le dire le pape François : « Tout chrétien doit être anticonformiste ».
Quel tournant devons-nous prendre aujourd’hui ? Quelle conversion est exigée ? Quelle communauté chrétienne est prête à prendre le chemin douloureux de la Vérité ?
Seule la prière – insistante, longue, dure comme celle de Jésus – nous donnera lumière et force.
4 commentaires
Mais, pourquoi, au fait, a-t-il fallu que
le Christ souffre autant pour racheter les péchés du Monde ?
Pour que personne ne puisse contester la justice de Dieu, qui ne donne la première place au Ciel que quand on a occupé la dernière dans le monde, sans pécher ou sans blasphémer contre l’Esprit Saint. C’est à ce prix que tout sera soumis au Christ, lui qui n’a pas eu la gloire qui vient du monde.
Non, Pierre ne s’ attendait pas à la réponse de Jésus ! Pöur lui, le Messie c’était le Messie triomphant, qui allait rétablir la royauté d’ Israël, le Règne de Dieu.
Il est loin de s’ imaginer la révélation que Jésus va lui confier; Comme si la foudre s’ abattait sur lui !
« Il faut que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les Anciens, les chefs de prêtres et les scribes, qu’il soit tué et que, le 3ème jour, il ressuscite ».
” Si quelqu’un veut venir derrière moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix chaque jour et qu’il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie pour moi, la sauvera ».
C’ est la voie que Jésus nous propose de suivre. Il n’ y en a point d’ autre …
Belle et forte homélie. Merci. Oui, “tout chrétien doit être anticonformiste”, et ce n’est pas facile ! C’est si rassurant de s’abriter derrière les discours convenus ou les autorités bien établies… Mais un moment vient où l’on étouffe, on cherche de l’air, de la vie, du souffle ! Alors, même si l’on affronte l’incompréhension et la violence, on a la joie de rencontrer aussi sur sa route des frères et des soeurs qu’on n’attendait pas.