Depuis quatre ans, le mois de mai est un peu plus douloureux à traverser que les autres mois. Reviennent trois dates auxquelles j’aurais décroché mon téléphone pour lui souhaiter un joyeux anniversaire, une bonne fête, et avoir une maman à fêter. Je lui aurais demandé des nouvelles de ses fleurs, je l’aurais surtout écoutée parler, elle qui verbalisait tout ce qu’elle ressentait. Je ne savais pas alors qu’un jour sa voix ma manquerait, et si tôt, alors qu’on se rassurait toujours en disant que décidément, dans cette famille, on vivait très vieux. Je n’avais pas prévu ce nuage de tristesse qui traverserait tous les coeurs chers en affichant la page du mois de mai sur le calendrier… On n’en parle qu’à demi-mot, mais je sais bien qu’aujourd’hui il est triste, que des pensées nostalgiques nous ont tous envahis à un moment ou à un autre de la journée devant cette date. Même s’il y a la foi et la certitude qu’elle est ailleurs, et heureuse, bien plus qu’elle ne l’a été dans sa pauvre vie.
Et puis l’autre jour, un de ces clins d’oeil qui permettent de cultiver l’espérance. A travers un livre, je me suis enfin décidée à me pencher sérieusement sur la biographie, les écrits et l’immense héritage spirituel que nous laisse frère Roger de Taizé. Si je ne suis jamais allée là-bas, toutes mes aspirations à l’unité des chrétiens m’y attirent et leurs chants si beaux accompagnent nombre de mes trajets en voiture. A lire des fragments de son journal et d’oeuvres laissées inachevées entre 1940 et 1963, je m’attache à ce grand spirituel, à cet homme bon et visionnaire qui a toujours précédé les générations de ses intuitions fortes et réalistes bien que traversées d’un grand idéal. Aurait-il pensé, fondant une toute petite communauté en 1940, au retentissement immense qu’elle aurait dans le monde entier des décennies plus tard ? Quels fruits magnifiques son oeuvre nous réserve-t-elle encore en surprise ?
Quant à moi, j’en ai eu une bien jolie l’autre jour en lisant à la page 109 de l’ouvrage “A la joie je t’invite” (Les Presses de Taizé, 2012), un extrait de son journal daté du 10 mai 1958 :
“L’allégresse chante en moi. Mon attachement de plus en plus profond pour les paysages, et en particulier pour chaque arbre, chaque plante qui orne le jardin, me réjouit en plénitude.
Les épreuves sont là, quotidiennes, parfois lancinantes, rien ne peut les enlever du chemin, et la patience à les accepter chaque jour vient parfois à manquer. Je sais alors que le Seigneur accorde à chacun les compensations selon ses besoins.
Pour moi, il y a une force et une joie renouvelées à contempler les fruits, les fleurs, telle branche, tel arbuste.
Chaque année, j’attends qu’éclose la pivoine. Depuis ma petite enfance, au printemps, mon impatience va grandissant : la pivoine s’ouvrira-t-elle pour mon anniversaire, le 12 mai ? Enfant, il m’arrivait de forcer sa maturité en décortiquant la fleur de ses pétales protecteurs.
Aujourd’hui, mon attente est toute de calme et de joie profonde.
La vie m’éduque. Je crois depuis l’adolescence avoir appris l’acceptation.
Cette école a été possible à cause d’une souffrance sans cesse avivée.
Je ne regrette rien.
Je rends grâces.”
Le 12 mai ! Frère Roger avait donc le même anniversaire que ma petite maman !
Alors aujourd’hui, parce qu’ils sont dans l’au-delà de la floraison des pivoines, je leur offre à tous les deux une brassée de roses, en leur disant merci, simplement, du sillage de vie et de foi qu’ils ont laissé derrière eux…
2 commentaires
La vie nous éduque, nous apprend la patience, comme dit Frère Roger. Patience de se former professionnellement et d’accepter de ne pas être “au top” tout de suite sans effort, patience dans l’espoir et l’attente d’une rencontre pour certains qui se sentent appelés au mariage, patience dans l’attente d’un enfant qui tarde à venir, patience avec un adolescent qui se cherche et teste les limites, patience des personnes seules qui espèrent une conversation téléphonique dans la journée…Dieu le premier est infiniment patient avec nous..Il nous apprend que comme on ne peut pas tirer sur les tiges pour les faire grandir plus vite, au risque de tout abîmer, l’homme se nourrit d’Amour, de Paix, de Plénitude profonde, et qu’Il en est la source. Grandir, mûrir, se décentrer…comme disait un chant de ma jeunesse, pour faire un homme, mon Dieu que c’est long!
Merci infiniment Claire pour cette méditation, je suis en pleine épreuve de patience et vos mots me font du bien…