Je les avais plantés avec amour. Toujours envieuse de ceux du voisinage, je n’avais pas trouvé jusque là le bon endroit pour avoir des rosiers près de ma maison. A la faveur de travaux d’aménagement extérieur il y a deux ans, je me suis lancée. Creuser des trous profonds jusqu’à en avoir des ampoules et mal au dos, enlever les pierres innombrables, amender et puis planter mes six petits chéris choisis avec soin dans une jardinerie. J’imaginais déjà, au printemps suivant, les roses odorantes et de toutes les couleurs. Le jardinage, c’est une affaire de patience. Il faut savoir subir les longs mois sombres et froids avant de palpiter, au printemps, à l’idée de la fleur délicate qui va s’ouvrir, guetter la première comme le fit le Petit Prince en personne, vite vite, la prendre en photo avant que “rose elle n’ait vécu ce que vivent les roses”.
L’année dernière, petits rosiers, rares roses.
Cette année en mai, rosiers grandis et un festival de boutons. J’avais le cœur en fête.
Il y eut une absence de deux jours, et au retour, la sidération : tous les boutons avaient disparu, comme découpés au sécateur ! Instant de parano : qui pouvait m’en vouloir de la sorte ? Ne comptant aucun ennemi, j’ai mis le forfait sur le compte de pucerons d’une voracité hors norme. Et puis j’ai eu des échos d’une voisine à qui il était arrivé la même chose, et puis une autre, et puis encore une autre… Et la coupable fut vue dans le quartier : une petite femelle chevreuil, au palais délicat, parfois avec ses petits, qui venait se régaler dans nos jardins d’agrément de tous les boutons de roses à sa portée, de valérianes, plus tard des meilleurs légumes des potagers… Que faire ? J’ai espéré que la floraison de juin serait sauvée, j’avais retaillé, attendu, guetté tous les boutons. Nouveau carnage. Je n’étais pas loin des larmes. Plus tard, j’ai mis à exécution des remèdes de grand-mère : accrocher dans les rosiers des petits filets pleins de cheveux – la coiffeuse m’en avait donné un gros sac ! – et j’attendais narquoise que ma mangeuse de roses revienne et soit découragée par l’odeur humaine. Elle a fait fi de mes cheveux, et la quatrième floraison y est passée comme les trois autres… Ne sont sauvées que les roses des plants trop hauts pour elle.
Alors voilà, je suis déçue, amère, inquiète en outre pour mes plants qui sont désormais presque nus de fleurs comme de feuilles et près du ras du sol à force d’avoir été grignotés et retaillés.
Moi qui ai toujours tant aimé tous les animaux sauvages de la forêt ! Mais là, grrr, chères petites merveilles de la création, je suis en colère ! Nom d’un chevreuil !