J’ai envie de leur rendre hommage, aujourd’hui, à tous les deux, tant qu’ils sont là, tant que je peux aller leur rendre visite, tant que je peux espérer de chacun un coup de téléphone ou un texto.
Ils ne se connaissent pas. Ils sont aussi dissemblables qu’il est possible de l’être dans une même Eglise.
Pourquoi les associer dans ce billet ? Ils sont de ces rares amis très chers que je dois à la foi et à l’Eglise. Entièrement. Ils sont de ces proches bien-aimés pour lesquels je redoute un coup du sort, la victoire de la maladie sur la combativité, une abdication de la santé qui leur ferait rencontrer le Seigneur avant moi.
Elle. Ne vous arrêtez surtout pas à son enveloppe charnelle. Ne regardez que le bleu de ses yeux et sa chevelure encore très féminine malgré le blanc.
Elle a connu toutes les galères. La précarité sociale, les addictions, les couples instables, la stérilité. Pas de frère ni de sœur, plus de parents, à peine de lointains cousins. Quand la vie vous impose la solitude à ce point, la marginalité vous repousse un jour, à l’approche de la soixantaine, entre les murs d’une maison de retraite. Un temps, elle a parlé de partir, de recommencer ailleurs, d’envisager la vie et pas seulement la vieillesse si précoce. C’est dur pour elle de côtoyer à longueur de journée des personnes quasi grabataires dans son couloir d’EHPAD. Mais elle a appris à ne pas se plaindre. La rue, elle a connu. La pauvreté, la faim, l’errance, l’incertitude, tout cela est inscrit dans son passé, qu’elle évoque seulement à demi-mot, comme s’il la rendait indigne d’avoir aujourd’hui ce toit-là et une nourriture abondante chaque jour. Elle ne se plaint pas. Elle repousse la plainte dès qu’elle franchit le bord de ses lèvres.
Les journées sont longues, et elle se lève avant l’aurore de l’été. Alors elle met des couleurs dans le gris de ses jours. Quand je vais la voir, elle est toujours occupée à colorier. Magnifiquement. Des mandalas, des dessins qui déclinent une infinité de nuances. Elle colorie, et me dit qu’elle ne s’en lasse jamais. C’est une grâce. Et le reste du temps, elle prie. Beaucoup. Et souvent, je ressens sur mes proches que je lui confie les bienfaits de sa prière désintéressée.
Aujourd’hui, elle était particulièrement lucide, et nous avons eu une conversation très riche. Entre chrétiennes qui mesurent la chance d’avoir la foi face à l’adversité, la maladie, la solitude et la mort. Ni elle, ni moi ne les craignons. La souffrance, oui, bien sûr, comme tout le monde. Mais pas l’au-delà de la mort. La grâce d’avoir la foi, celle qui nous a rapprochées l’une de l’autre, celle dont nous voyons privées autour de nous tant de personnes qui s’agacent d’un rien et pour rien. La force de la foi et la plénitude dans la prière. Voilà le ciment de notre amitié. Et tant qu’elle est là, je veux qu’elle sache qu’elle est aimée. De quelques-uns, et du Seigneur, infiniment.
Lui. Je l’ai connu au détour de ce blog, notre amitié est née spontanément du regret d’un même être cher, lui son frère, moi un témoin lumineux de l’engagement chrétien qui avait marqué mes vingt ans. Son frère fauché trop tôt par la mort, et que je n’ai jamais pu revoir. Qu’il veille et nous lie l’un à l’autre aujourd’hui, c’est d’une telle évidence ! Ils étaient prêtres tous les deux, et cela les rendait doublement frères. Il aime que j’aie tant apprécié son frère. J’aime qu’il soit si proche et si différent de lui. C’est une très belle amitié.
J’ai beaucoup d’admiration pour lui, très érudit mais si simple dans sa façon d’être avec tout le monde. Je devine sa culture infinie en lisant ses livres, mais il n’en fait pas étalage devant moi. De là-haut, son frère me désigne à lui sans doute plutôt comme une sœur et une confidente que comme une âme à enseigner. C’est un pilier de ma vie, et je ne me lasse jamais de nos échanges.
Tant qu’il est là. Je ne sais pas combien de temps le Seigneur m’accordera encore cet ami, ici, dans le monde. Ses jours ont l’air comptés. Il est criblé de maladies graves, et passe presque autant de temps dans les hôpitaux que dans son modeste appartement. Je supplie le Ciel de lui laisser encore le temps d’écrire un dernier livre, il en a tellement envie ! Seigneur Jésus, aie pitié de mon ami qui te sert si bien jour après jour, dans la liturgie comme dans les plus petites choses ! Aie pitié de ton serviteur !
Que cet hommage les rejoigne dans leur combat pour survivre, tant qu’ils sont là et que je demeure à leurs côtés. Elle, et lui.