Louise est née il y a cent quinze ans aujourd’hui. Elle ne vit plus sur notre terre depuis vingt-sept ans déjà, mais près des saints du Ciel, j’en suis convaincue. Louise était de ces saintes de la vie ordinaire, difficile, humble et cachée. De celles que l’on n’entend pas et que l’on ne remarque pas. De celles que jamais l’Eglise, à laquelle elle a pourtant été si fidèle toute sa vie, ne canonisera. Qu’il me soit donc permis, aujourd’hui, en ce jour anniversaire de sa naissance, de rédiger une petite hagiographie en son honneur. Louise était ma grand-mère paternelle.
Louise, lorraine, est née allemande du fait de l’annexion qui a perduré de 1871 à 1919. Sa langue maternelle était le dialecte lorrain, sa langue scolaire l’allemand. Mais Louise a pris sur elle pour apprendre le français en cours du soir quand l’Alsace-Moselle est revenue dans le giron de la France. Elle parlait un français fluide quand j’ai eu la chance d’être sa petite-fille.
Louise savait se donner pour autrui. Longtemps, jeune fille, elle a soigné sa sœur aînée malade, qu’elle aimait beaucoup, et qu’elle a eu la peine de perdre, tout comme un de ses frères “tombé en guerre”, comme elle le disait souvent. Elle s’est donc mariée un peu tardivement pour cette époque, avec un homme déjà trentenaire qui l’aimait beaucoup mais qu’elle n’aurait pas forcément choisi selon son cœur ; elle s’est dévouée pour arranger leurs parents dans une histoire de répartition de terres agricoles. C’est une confidence qu’elle m’a glissée un jour au creux de l’oreille, quand, adolescente, je passais quelques semaines d’été chez eux.
Louise était sensible, assez anxieuse, très scrupuleuse quant aux préceptes de la religion catholique à laquelle elle adhérait de tout son cœur. Entre un mari aimant mais parfois tyrannique et un curé qui prêchait la peur de l’enfer et la morale, Louise menait une vie conforme en toutes choses aux commandements de l’Eglise, et bien plus évangélique qu’elle ne pouvait elle-même le percevoir. Je n’ai pas souvenir de ma grand-mère s’adonnant à la médisance ou manquant à un seul de ses devoirs d’épouse, de mère de famille, de paroissienne ou d’agricultrice. Humble et efficace, elle obéissait en toutes choses à un mari autoritaire et devenant capricieux avec l’âge, de même qu’à son curé qui devait la terroriser en confession.
Louise eut la douleur de perdre l’une de ses jumelles premières nées. Prématurées et très petites, “elles tenaient dans une boîte à chaussure” disait souvent cette maman marquée par cette épreuve. L’autre jumelle survécut et fut ma tante bien-aimée, une sainte elle aussi.
Une autre épreuve majeure de sa vie fut l’évacuation vers l’ouest de la France en 1940, avec ses deux enfants de sept et dix ans, le petit garçon étant mon père. Dans la cohue de la gare inorganisée, elle faillit perdre ses enfants et en garda un réel traumatisme, d’autant plus que des mauvaises langues l’avaient soupçonnée de l’avoir fait exprès. Partie sans son mari, avec ses deux petits et quelques voisins, Louise et sa famille démunie de tout bien furent accueillies pour quelques mois en Haute-Vienne, ils étaient mal logés mais sains et saufs. Au retour en Moselle, ils retrouvèrent leur maison pillée, leur région annexée et les enfants durent subir comme leurs parents à la génération précédente une scolarité en langue allemande sous la contrainte. Mon grand-père étant heureusement resté en vie malgré la guerre, une dernière fille allait naître un an plus tard, en pleine période d’annexion allemande. C’est ma deuxième tante bien-aimée.
Les bombardements allaient reprendre avec violence à la libération, la Moselle étant un champ de bataille tout désigné. La famille de Louise accueillit pendant plusieurs mois un jeune soldat américain qui leur fit connaître le chewing-gum et quelques bribes d’anglais dont Louise a toujours été un peu fière et émue.
Si la deuxième moitié de sa vie a été un peu plus paisible, Louise n’en est pas moins restée fort marquée par ses angoisses de guerre dans l’enfance de ses trois petits. Elle en a gardé le sens de la simplicité quotidienne, du sacrifice et du contentement dans les belles choses que la vie allait lui réserver désormais. Une petite dernière à la beauté solaire et réussissant une belle carrière, une famille demeurant toujours unie, même dans l’adversité, sept petits-enfants dont j’ai eu le bonheur d’être et qu’elle a tous chéris et admirés de son regard bleu si pur et si encourageant. Ma grand-mère m’a appris ce en quoi elle excellait : les travaux d’aiguille, l’amour de ses proches et la piété simple mais profondément sincère.
La vieillesse ne lui a pas épargné l’épreuve de la perte d’autonomie dans la maladie d’Alzheimer. Pauvre Louise, elle qui, pudique à l’extrême, portait toujours trois paires de bas pour ne pas laisser deviner ses jambes sveltes, nous la retrouvions au fond d’un couloir de maison de retraite médicalisée vêtue d’un vilain jogging qui ne cachait plus ses mollets si secrets. Louise perdait la mémoire immédiate, prenait son fils pour son frère, puis finit par ne plus reconnaître personne. Elle fut mon premier deuil d’un grand-parent, quand mon fils qu’elle n’a pas connu avait trois mois.
Mais toujours, j’ai eu, chevillée au cœur, cette certitude limpide : Louise était une sainte, vraiment. De ces saintes cachées que l’Eglise ne canonisera jamais, mais dont toute la vie a été offrande aux siens et au Seigneur.
En ce jour de ton anniversaire, ma chère Mémé, intercède pour nous qui t’aimons toujours autant !
2 commentaires
Merci Véronique pour cette belle personne dont tu nous partages la beauté aujourd’ hui par tes écrits…Tu nous donnes presque l’ impression qu’ elle pourrait, de sa place près de Dieu, nous prendre en amitié, si nous lui demandions. Merci de nous avoir présenté ta merveilleuse grand-mère! Bonnes journée à toi….
Merci chère Claire, je crois ma grand-mère ne peut rien nous refuser en matière d’intercession pour peu que nous discernions sa sainteté toute humble ! 🙂