La nuit, au cours d’une vision, moi, Daniel, je regardais : des trônes furent disposés, et un Vieillard prit place ; son habit était blanc comme la neige, et les cheveux de sa tête, comme de la laine immaculée ; son trône était fait de flammes de feu, avec des roues de feu ardent.
Un fleuve de feu coulait, qui jaillissait devant lui. Des milliers de milliers le servaient, des myriades de myriades se tenaient devant lui. Le tribunal prit place et l’on ouvrit des livres.
Je regardais, au cours des visions de la nuit, et je voyais venir, avec les nuées du ciel, comme un Fils d’homme ; il parvint jusqu’au Vieillard, et on le fit avancer devant lui.
Et il lui fut donné domination, gloire et royauté ; tous les peuples, toutes les nations et les gens de toutes langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle, qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera pas détruite.
Livre de Daniel 7,9-10.13-14
Textes liturgiques©AELF
Le Livre de Daniel, dans cette vision, est un vif encouragement à croire en la messianité de Jésus, qui a toujours été identifié ici par les chrétiens avec ce personnage “comme un Fils d’homme” se présentant devant Dieu le Père pour recevoir de Lui la royauté éternelle. Et tout naturellement, l’Eglise nous le donne à lire et à méditer en même temps que l’Evangile de la Transfiguration (Marc 9, 2-10) que nous fêtons aujourd’hui. Il est frappant de faire le parallèle entre la blancheur de l’habit du “Vieillard” et celle des vêtements de Jésus en Marc 9, 3 :
Ses vêtements devinrent resplendissants,
d’une blancheur telle
que personne sur terre ne peut obtenir une blancheur pareille.
A partir de ces deux lectures, je voudrais nous amener à méditer, pour une fois, non pas sur la ressemblance en toute chose de Jésus avec les hommes, ses frères en humanité, mais surtout sur sa différence d’avec eux, comme il est précisé quand nous professons “en toute chose, à l’exception du péché.” Jésus transfiguré de son apparence habituelle apparaît resplendissant de blancheur, symbole de pureté, comme Dieu le Père lui-même. Matthieu précise “Son visage devint brillant comme le soleil” (Matthieu 17, 2). Il est important de nous souvenir que la transfiguration de Jésus a eu lieu avant sa mort et sa résurrection quand il était encore pleinement dans sa chair d’homme vivant parmi les hommes. Or, je pose la question : y a-t-il un seul saint, et même Marie sa mère, qui soit apparu “transfiguré” à un témoin de son vivant parmi les hommes? Je crois pouvoir affirmer que non. Des mystiques ont eu des visions du Seigneur Jésus, de Marie ou d’autres saints, mais c’était après leur mort, dans leur apparence de ressuscités à la suite du Christ. Ils les ont vu resplendissants, certes, mais alors que ceux-ci étaient déjà dans la gloire du Ciel.
Ce qui m’amène à souligner la différence radicale de Jésus d’avec le commun des mortels. Jésus a en sa nature profonde quelque chose qui le différencie de tous les autres enfants de la terre, il est “comme un fils d’homme”, nous dit Daniel, le “comme” étant important. C’est sans doute par humilité que Jésus s’est souvent nommé lui-même “le Fils de l’homme”, lui qui justement ne l’est pas : il est bien le seul de toute l’humanité à n’avoir pas eu de géniteur masculin. Jésus est fils de Marie, oui, pleinement, mais son Père est le Père de la Trinité sainte, Dieu éternel lui-même. Je précise au passage que je crois profondément à l’évolution des espèces, et non au modelage d’Adam avec de la glaise par Dieu. Adam pourrait être le premier homme à avoir eu la révélation et la crainte de Dieu, mais certainement pas le premier homo sapiens sapiens, qui procède d’une très longue évolution de l’hominidé vers l’homme de notre ère. Je prends la Genèse très au sérieux, mais comme un enseignement sur la relation de l’homme et de la femme entre eux et avec le Dieu unique, pas comme un descriptif scientifique de l’apparition de la vie sur la terre.
Revenons à Jésus, Fils de Dieu de sexe masculin, et pourtant radicalement différent de ses frères en humanité : incapable de pécher par nature et par volonté profonde, ce que mes frères humains m’accorderont, je l’espère, comme étant tout à fait unique dans l’espèce humaine et en particulier dans le genre masculin si prompt à laisser libre cours à ses pulsions de domination, de conquête, de violence physique, d’action autoritaire sur les êtres et sur le monde. Observons Jésus doux et humble de cœur et nous aurons l’image de l’homme parfait dépourvu de son péché que je qualifierais de “congénital”.
Je pose alors à chacun la question qui baigne toute ma vie de prière depuis une vingtaine d’années: d’où vient que Jésus, né d’une femme, soit si différent de ses frères en humanité qui ne cheminent que péniblement, au long de toute une vie, par grâce et par volonté, vers la sainteté ? L’Eglise a insisté à l’extrême sur la virginité de sa mère à sa conception. Certes ! Mais ce n’est pas l’hymen intact de Marie après sa conception qui rend Jésus saint. Marie, qui n’a pas été une mère porteuse, a donné à l’enfant de sa chair ce que toute femme lui donne quand elle enfante un garçon ou une fille : un patrimoine génétique à chromosome sexuel X. Et dites-moi à présent, que pensez-vous que Jésus ait reçu de Dieu son Père ? Dieu le Père serait-il masculin pour avoir transmis à cet enfant ce chromosome sexuel en forme de fronde de David, le Y ?
Eh bien moi, je ne le pense pas. Je sais qu’en cela, je me trouve en porte-à-faux avec toute l’Eglise, et je l’assume désormais. Je pense que Jésus a dès sa conception un patrimoine génétique différent de celui de tous ses frères en humanité – Adam compris. Nous autres femmes sommes toutes de patrimoine génétique sexuel XX – Marie mère de Jésus aussi. Quant à Jésus, nous pouvons penser qu’il ait reçu de son Père quelque chose d’inédit dans l’histoire de l’humanité, appelons-le Ω “Moi je suis l’alpha et l’oméga”, Apocalypse 22, 13.
Jésus serait ainsi de patrimoine génétique sexuel XΩ , rendu par là-même incapable de pécher par concupiscence, saint, immaculé, capable de transfiguration et de résurrection.
C’est ce que je crois très profondément, après vingt années d’oraison intense et de très forte proximité avec Notre Seigneur que j’aime infiniment, Lui le seul parfaitement Juste et absolument sans péché.
1 commentaire
Bonjour Véronique. C’est toujours avec une grande joie que je lis vos articles. Rares sont, en dehors des “professionnels” de la parole de Dieu, ceux ou celles qui se posent avec intensité les questions que vous vous posez, ce qui est bien dommage. Nous courons tous après nos projets, soucis, affaires et autres agitations quotidiennes… En passant complètement à côté de l’essentiel, ou du moins de ce qui devrait l’être. Merci de nous raccrocher à ces “essentiels”
Sur la nature profonde, ultime, centrale du Christ, on en discute depuis des siècles et les opinions qui se sont retrouvées finalement minoritaires dans les conciles, (ou pas soutenues par les empereurs chrétiens) ont été étiquetées “hérésies”. Je suis donc lucide sur le fait qu’à mon tour je pourrais venir abonder la collection des hérésies ! Pour ma part je ne pense pas que Jésus soit un mutant doté d’un patrimoine génétique différent voire unique dans l’histoire de l’humanité. Je ne crois guère à la conception virginale, même si je pense que “la virginité d’Israël” est un concept d’ouverture à Dieu, de disponibilité, d’attente pure et intransigeante au regard des faux dieux, qui est riche de sens. Je raisonne (mais je peux me tromper !) à partir de l’étymologie du mot “chrestos”, celui qui a reçu l’onction. Jésus est le fils d’un homme et d’une femme, mais Dieu s’est incarné en lui. Il est donc à la fois vrai homme et vrai Dieu. Si Jésus était un être au départ totalement surnaturel, que partagerait-il de notre humanité ? Il aurait FAIT SEMBLANT d’être un homme, alors… Mais il y a eu l’hérésie de l’adoptianisme, qui a été rejetée alors qu’elle défendait le concept d’un Jésus “normal” adopté par Dieu (pourquoi lui et pas un autre, dans ce cas ?). Cette intersection entre deux natures, deux destins, deux réalités, l’humaine et la divine, nous dépassera toujours, et c’est normal. Si “le fils de l’homme” est aussi “le fils de Dieu” cela ne peut qu’être, pour l’infinité des temps, hors de portée de notre entendement par essence limité.
Comment peut-on être “ancré” dans une famille, des amis, une culture, une histoire (juive de l’antiquité) tout en étant à l’écoute des desseins du Père ? Comment parcourir les routes et proclamer la parole de Dieu pendant trois ans, avec des succès notables, tout en sachant qu’au bout, à vue humaine au moins, il y a un procès inique, un supplice affreux, et la mort ? Comme être à la fois Jésus et Christ, sans sombrer dans la schizophrénie, tellement les désirs de ces deux natures, divines et humaines, s’opposent douloureusement, au final ? Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu (ou qu’il trouve les ressources, spirituelles surtout) pour faire resplendir, dans une transfiguration personnelle, cette partie divine qui est cachée en lui. Tout le monde y est appelé, dans ce monde ou dans l’autre…
En vous souhaitant une bonne et sainte journée.