Marie,
Je t’aime et tu le sais. Tu m’aimes et je le sais. Doux colloques que nos dialogues intimes dans l’oraison, quand je me réfugie près de ton sourire bienveillant et maternel, près de ton cœur qui aime tant et qui comprend si bien.
Marie, jamais tu ne t’offusques que je ne t’appelle pas “Sainte Vierge Marie”. Pourquoi m’adresserais-je à une jeune fille de quatorze ou quinze ans, alors que tu es grande de tout ton vécu de femme et de mère ?
Il y a entre toi et moi une douce connivence née de notre confiance et de notre connaissance réciproques. Oh toi tu me connais depuis l’instant de ma conception, j’en suis sûre, car connaissant l’ardeur à te prier de ma mère, je me doute bien que c’est vers toi que sont montées ses larmes de détresse en apprenant que je vivais déjà, là dans son sein, elle qui était si fatiguée d’élever déjà trois toutes petites filles nées pourtant par amour ! C’est toi qui étais là, indiscutablement, quand sa mère lui a donné de vilains conseils pour se défaire de moi, et que ces intentions coupables n’ont pas produit leur effet. Tu étais là, dans ta sollicitude maternelle, quand elle a poursuivi courageusement cette quatrième grossesse, quand elle a surmonté sa déception de ne toujours pas avoir eu de garçon, quand elle m’a habillée très chaudement par un froid dimanche de janvier pour que je reçoive, des mains de son propre frère jeune prêtre, l’eau du baptême et un prénom si ajusté choisi par ma tante très sainte. Tu étais là Marie, quand j’ai été baptisée du prénom de celle qui console ton Fils sur son chemin de Croix, et du tien, donné comme à toutes mes sœurs par amour de toi et de l’Eglise catholique, notre lignée.
Marie, mon enfance est pleine de ton image, de ton sourire sur cette statue de l’Immaculée Conception de Lourdes qui veillait sur notre famille dans notre si modeste foyer, dans les nombreuses représentations de toi qui ornaient les murs chez tous nos proches. J’étais si familière avec toi que comme par un mouvement naturel, je voulais te connaître mieux. Je te convoquais parfois, au bord de mon lit, pour jouir de la joie de Bernadette Soubirous. Mais jamais, tu ne te montrais.
Je me disais que tu m’en voulais peut-être un peu, car bien plus que toi, je chérissais ton Fils. C’était surtout lui que je priais, que j’aimais, que je voulais pour frère et pour Seigneur. J’ai été accompagnée de manière sûre dans ce chemin par notre excellent curé de paroisse dont le nom ne signifiait pas moins que “Dieu fait grâce, hais le diable !” Je ne connaissais pas le diable, lui n’en parlait jamais, mais ton Fils, sa Parole et le témoignage quotidien d’une vie évangélique, ô combien !
Merci Marie pour le Fils que tu nous as donné, merci pour mon éducation catholique qui m’a procuré la joie de recevoir son Corps, dans une foi immense, à neuf ans !
Dans nos retrouvailles un peu tardives, Marie, quand tu es venue chercher avec un très grand amour ma maman fatiguée de vivre, quand tu as imprimé sur sa face, sans doute par une vision au moment où son cœur s’est arrêté de battre, ce si beau sourire de sérénité qu’elle a gardé comme un ultime témoignage de sa foi pour nous qui l’avons contemplée, j’ai compris que quelque chose s’était inversé entre toi et moi : désormais, c’était à moi de me faire l’avocate de ta vie véritable, Marie, c’était à moi, ne risquant plus d’offusquer ma maman si attachée à ton culte, de rétablir la vérité sur ce qu’a été ta vie, à Nazareth, il y a 2000 ans.
Marie, si je t’écris aujourd’hui publiquement, c’est par amour et par reconnaissance, par acceptation de ce que tu attends de moi.
Oui, à quatorze ou quinze ans, tu étais une délicieuse jeune fille, pure de cœur et d’esprit, vierge encore et promise à un jeune homme juif qui t’aimait. Dans le mystère d’une nuit indicible, tu as été visitée, saisie aux entrailles par le Dieu de tes pères, fécondée mystérieusement dans une étreinte qui n’appartient qu’à la Trinité Sainte et à toi, heureuse élue du Père qui a sollicité ton acceptation de cette conception miraculeuse qui allait bouleverser toute ta vie : disant oui, tu t’exposais à l’accusation d’adultère sur la place publique, tu t’exposais à la répudiation par Joseph ton promis, qui, tout juste qu’il était, n’en était pas moins un homme attaché à son honneur. Disant oui, tu t’exposais à une aventure folle, ne sachant pas où ce Fils du Très-Haut te mènerait, ne comprenant pas comment, dans ta grande humilité, tu allais enfanter le Messie que le peuple juif attendait.
Et toute sa vie, toute ta vie, tu as pu goûter à la fois la grâce de sa sainte présence, et la blessure du glaive qui allait transpercer ton cœur à mesure qu’il s’attirerait la haine des gardiens de votre religion.
Marie, tu as eu, dans ce long parcours, une chance que beaucoup de femmes n’ont pas : ton époux Joseph a été averti en songe de ne pas te répudier, et d’accueillir humblement et avec générosité paternelle cet enfant qui n’était pas de lui. Tu as eu la chance d’avoir un époux visité lui aussi par l’Esprit, gardant la foi et acceptant en toi cette sainteté qui te rendait différente d’autres femmes qu’il aurait pu choisir.
Ensuite, votre vie est une vie ordinaire, chahutée même. Le rejet à Bethléem, votre fuite en Egypte, votre retour à Nazareth avec sans doute les ragots qui entouraient la naissance de cet aîné différent. De nombreuses autres grossesses pour toi Marie, dans la fidélité conjugale et le dévouement aux tâches quotidiennes. Une vie humble, cachée, besogneuse. Et la foi. Le respect de toutes les traditions juives dans lesquelles tous vos enfants ont été élevés, Jésus se démarquant des autres par sa curiosité spirituelle et sa pertinence dans ses débats avec des doctes, même au Temple de Jérusalem à douze ans.
Je ne vais pas raconter toute votre histoire Marie, elle est inscrite très précisément dans les Evangiles canoniques.
Je veux simplement rendre justice à la mère de famille nombreuse que tu as été. Je veux te rendre tes fils et tes filles nés après Jésus, et qui ne l’ont pas toujours compris, l’ont cru fou, ont eu honte de lui, l’ont poursuivi ici et ailleurs pour le faire taire et rentrer à la maison… Je veux te rendre tes enfants ordinaires car nés d’un couple ordinaire, je veux te rendre toutes tes maternités, je veux te rendre ta place d’épouse de Joseph, comme nous la célébrons dans chaque prière eucharistique.
Marie, sainte mère de Notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, mère des fils qui se sont enfin convertis à sa Messianité après sa Résurrection, je veux assumer avec force ce que tu attends de moi : rétablir la vérité sur ta vie humble et féconde, dans la légitimité des Ecritures et la force des liens qui nous lient l’une à l’autre, depuis toujours et à jamais.
Je t’aime, mère de Celui que je chéris,
Véronique
Image : La fuite en Egypte Cathédrale Notre-Dame de Paris
4 commentaires
Bonjour Véronique, et merci pour cette très belle lettre ouverte. Les évangiles sont très clairs quant aux frères et aux soeurs de Jésus. Ils y reviennent plusieurs fois et les Actes des apôtres mettent en bonne place son frère Jacques, sans que le mot utilisé pour “cousin” en grec soit jamais employé. Mais surtout, ce qui me touche beaucoup dans votre lettre, c’est ce sentiment profond qu’il faut restituer ses enfants à Marie, et sa vie couple auprès de Joseph. Comment peut-on supposer qu’il y ait moins de sainteté chez une mère de famille nombreuse, et heureuse épouse d’un homme juste, que chez un couple complètement abstinent ! Pour moi, cette vision est aberrante. Elle mutile Marie, méprise la femme, défigure l’Eglise.
Merci, simplement, Monique. Mais du fond du cœur.
La Vierge Marie, d’autres grossesse??! Pour les catholiques, non, c’est ce que j’ai toujours appris.
Beaucoup aimeraient la voir + humaine c’est sûr, + proche de nous, + “moderne” mais même si cela semble difficile à croire de nos jours c’est ce qui fait d’elle la grande sainte qu’elle est.
Bonjour,
Permettez quelques mots sur la Vierge Marie. Merci.
Les siècles qui avaient brillé du Christianisme de Johanna avaient remis en lumière la grande Myriam, et le culte de cette personnalité, entourée du prestige des choses lointaines, s’était répandu dans tout l’Orient.
Il avait une place prépondérante dans les Mystères et devait, par cette voie, arriver jusqu’aux temps modernes.
Les Catholiques comprirent que, pour faire accepter leur doctrine, il était indispensable d’offrir au peuple la continuation de cette légende mariale, dont on connaissait si peu l’histoire réelle qu’il était facile d’y intercaler la nouvelle légende de la Mère de Jésus devenu un Dieu sauveur. On pensa même que la Mère ferait accepter le fils, et on ne se trompait pas ; le culte de Marie se propagea facilement, et c’est elle qui, pendant tout le Moyen Age, eut dans la religion nouvelle la place prépondérante.
En 608, le pape Boniface IV consacra le Panthéon de Rome à Marie. C’était rétablir le culte de la Femme. On lui rendait son nom antique « Notre-Dame », si peu en harmonie avec la pauvre femme de Judée de la légende évangélique, si peu Dame.
Sans cette réintégration de la Femme dans la religion, le culte catholique eût certainement sombré. C’était une imitation lointaine du Paganisme, en laid, car la Sainte Vierge, dont le principal mérite est de ne pas être une femme comme les autres, est présentée sous un aspect qui l’enlaidit ; enveloppée de voiles, elle cache la radieuse beauté de la Femme. Son expression de douleur, sa maternité, qui prime tout, sont des conditions qui vont créer un art spécial, dont le Moyen Age va remplir les églises, la reproduction du laid, les contorsions de la souffrance comme idéal.
C’est que le mensonge ne peut pas créer la beauté, qui restera toujours le privilège du vrai.
Lien : https://livresdefemmeslivresdeverites.blogspot.com/2017/06/origine-du-mystere-de-limmaculee.html
Cordialement.