Je cite l’abbé Philippe Link dans son assez belle homélie du jour :
Voilà donc en quoi la Sainte Famille est exemplaire : les relations qui sont premières en son sein, ce sont les relations de chacun avec le Père céleste. Et rien ne peut supplanter l’obéissance à Dieu. C’est Dieu qui est premier.
https://carrefours.alsace/12812/homelie-du-30-decembre-2018/
J’accueille volontiers cette vision des choses quant à la famille qu’ont fondée Marie et Joseph autour du Fils de Dieu, Jésus, même si je pense, quant à moi, et je l’ai déjà écrit souvent, qu’une fratrie nombreuse est née de leur union après Jésus qui n’est, lui, pas fils biologique de Joseph. Mais là n’est pas mon propos aujourd’hui.
Ce qui me gêne, c’est que l’on donne toujours la Sainte Famille en modèle aux couples chrétiens, sans mesurer à quel point c’est presque illusoire dans la configuration réelle de notre humanité. Je m’explique.
Même si l’évangile d’aujourd’hui décrit une situation où Jésus a mis Marie et Joseph durement à l’épreuve en ne les suivant pas pour quitter Jérusalem à douze ans (Luc 2, 41-52), on peut penser que c’est l’un des seuls affronts qu’il leur ait fait avant son ministère de prédication à la trentaine. Jésus est absolument sans aucun péché, et Marie n’a pas eu avec lui à affronter les tourments d’une mère ordinaire qui voit un fils tester des conduites provocantes et anxiogènes pour elle. Jamais non plus elle n’a eu la peine de le voir renier la foi qu’elle lui a inculquée, et qu’il avait en outre naturelle. Il n’a pas joué non plus avec ses sentiments de mère pour abuser de sa mansuétude à l’âge où d’autres font leurs premières grosses bêtises. Marie a mis au monde le meilleur Fils qui soit, elle a souffert de le voir rejeté par les autorités religieuses de son temps, c’est certain, mais elle n’a jamais eu à subir par sa faute la honte de le voir pécher et même ne pas se repentir. Je ne dis pas pour autant que Marie ait eu une vie de mère facile, puisque je suis persuadée qu’elle a mis au monde au moins six autres enfants après lui, qui eux n’étaient pas des saints et ont dû lui donner du fil à retordre. Cela apparaît plusieurs fois dans les évangiles, quand les frères de Jésus traînent Marie avec eux pour le faire taire.
Marie bénéficie encore d’une grâce à nulle autre femme accordée : ayant presque toujours Jésus près d’elle, hormis ses trois dernières années, elle est de fait en permanence protégée grâce à Lui des attaques du Mauvais. Jésus est par excellence celui qui fait taire le démon et le renvoie à son néant : tant qu’elle a le Fils près d’elle, le Mauvais ne peut l’approcher, et quelle chance pour une femme, nous qui sommes agressées en permanence dans nos vies quotidiennes par le démon extérieur à nous-mêmes ! Il est là, tapi toujours pas loin de nos portes, pour nous harceler. Marie n’a pas connu ce calvaire-là grâce à son Fils. Et c’est même, et je le crois profondément, la raison pour laquelle sur la croix, Jésus a confié sa Mère à son ami Jean, lui qui était déjà plus saint, plus sûr garant de la quiétude de Marie, que n’importe lequel de ses autres fils qui ne se sont convertis à l’Evangile qu’après la résurrection de leur aîné.
Joseph quant à lui est un époux qui ressemble bien peu à n’importe quel homme, fût-il chrétien et surtout de nos jours. Il accepte ce que Dieu attend de lui malgré son humiliation première – la grossesse hors mariage de Marie – et se montrera ensuite obéissant à toutes les motions de l’Esprit Saint : mettre l’Enfant en sécurité en Egypte, lui enseigner humblement son métier, accepter que cet enfant-là ait quelque chose en Lui qui le dépasse. Joseph est un homme d’une grande humilité, qualité qui manque singulièrement aux hommes, et de plus en plus.
Je peux prendre quelques exemples concrets, pour montrer que le parallèle entre cette famille-là et nos familles ordinaires est presque illusoire.
Je connais énormément de femmes, même baptisées et même mariées religieusement, qui abdiquent leur foi parce que c’est plus commode pour plaire à un mari : il est athée, agnostique ou mécréant et anticlérical, une femme de foi est pour lui objet de dérision, il préfère l’avoir soumise à lui que soumise à Dieu. Et combien de femmes, soucieuses de plaire à de tels hommes, jettent leur foi aux orties pour être sûres de bien leur plaire et de les garder : elles ne vont surtout pas le contredire dans les dîners où le religion sera abordée comme sujet de dérision, elles vont s’activer à ses côtés pour amasser des richesses et des biens, elles vont cesser d’être charitables puisque c’est tellement chrétien-crétin, elles vont se soucier davantage de lingerie coquine que de prière, elles iront faire du sport ou du bricolage avec eux le dimanche matin, et enfin, quand il leur refusera un enfant, elles n’insisteront pas : plutôt garder le conjoint que de le perdre pour une maternité.
Il existe aussi quelques maris chrétiens, oui, c’est vrai. Il y a sans doute, ici ou là, des conjoints masculins soucieux de vivre une vie de foi, et qui respectent leurs épouses dans leur propre démarche. Qu’elles mesurent leur chance. Mais parmi ceux-ci, un certain nombre, et je pense aux traditionalistes ou aux évangéliques, tirent la couverture à soi en manipulant les écrits de l’apôtre Paul pour que leurs épouses leur soient bien soumises à eux, plutôt qu’au Seigneur. Les voilà encore vainqueurs, avec la bénédiction de leurs curés et de leurs pasteurs.
Je ne vois donc pas très bien comment on peut transposer le modèle de la Sainte Famille, avec Jésus physiquement présent entre une femme et un homme mariés. On me dira que le sacrement de mariage porte cette grâce. J’y croirai le jour où les hommes pécheurs par nature profonde laisseront à leurs épouses la liberté d’écouter, au fond d’elles-mêmes, la voix de Dieu présente en elles naturellement, sans vouloir détourner leur foi à leur profit exclusif.
Image : La fuite en Egypte Cathédrale Notre-Dame de Paris