En méditant l’évangile d’aujourd’hui (Marc 6, 45-52) avec cette scène célèbre mais assez stupéfiante de Jésus qui marche sur la mer, je me dis qu’on n’a vraiment pas eu les mêmes milieux de prédilection, lui et moi. Lié à la terre qui l’a vu naître, il circule beaucoup dans des endroits arides, proches du désert, ou alors dans les terres plus hospitalières qui bordent les fleuves et les lacs. Je ne suis jamais allée en Terre Sainte, mais je me figure ces territoires bien plus secs et pauvres en végétation que ne l’est mon milieu vert et boisé du nord-est de la France. De nombreuses scènes de l’évangile nous transportent près du lac de Tibériade, où Jésus appelle des pêcheurs, leur procure des pêches miraculeuses, prêche sur une barque ou marche sur l’eau! L’évangile est tout plein de ces scènes liées à son milieu de vie. Et en marchant sur la mer, il montre son étroite proximité avec le Père, Lui qui est le créateur et le maître de tous les éléments. Ce qu’aucune créature ne serait capable de faire, le Christ Jésus le peut, à la grande stupeur de ses disciples qui n’ont toujours pas compris, malgré la multiplication des pains, sa filiation divine.
Pour moi, je suis née et je demeure très loin de toute mer. Il faut prendre la route pour une journée pour l’atteindre. Aussi n’est-ce pas du tout un milieu qui me soit habituel. Je vois la mer, parfois, pour un court temps de vacances. Je la trouve belle et apaisante. Mais je la redoute aussi : j’ai déjà failli m’y noyer, un jour d’imprudence, alors que j’étais déjà maman de trois enfants. Depuis, je garde mes distances avec elle. Je sais qu’elle pourrait me ravir la vie autant qu’elle ravit mes yeux. Et si je dois aller au-delà des mers, je préfère les survoler en avion que d’embarquer sur un bateau. Souvenirs pas très agréables non plus de traversées de la Mer Egée en ferry…
Mon milieu de prédilection, c’est indiscutablement la forêt. Là, je ne crains aucun mal, je fais fi des sangliers que je pourrais croiser aux détours d’un sentier et je me réjouis comme une enfant quand j’aperçois entre les fourrés un chevreuil ou une harde de cerfs. C’est la récompense suprême de toute promenade dans le silence. Je n’ai jamais pu emménager dans un logis d’où je ne voie pas des arbres depuis mes fenêtres. Et chez moi, je dois dire que je suis très gâtée : la forêt vosgienne encercle mon village et est la toile de fond de mon paysage, où que je me tourne. Elle est là, avec ses conifères immenses et ses feuillus touffus, ajoutant au plaisir des couleurs en toutes saisons celui de senteurs discrètes, de l’air pur et des sommets courbes du massif vosgien. Les promenades sont un peu ardues parfois, les sentiers raides, mais je ne me sens jamais aussi bien quand dans cette cathédrale des arbres, comme j’aime à la nommer, plongeant moi aussi mes racines dans un sol riche et tendant mes branches vers l’infini du ciel. La forêt, c’est mon milieu, mon poumon, mon oxygène, le lieu privilégié aussi de ma méditation silencieuse quand je reviens mille et une fois sur les mêmes sentiers. Au détour des chemins, on découvre des calvaires, signes de la prière de beaucoup d’autres avant nous. Et là, je pense au cantique spirituel de saint Jean de la Croix, même si Jésus n’a jamais concrètement arpenté mes petits chemins forestiers :
Oh forêts et fourrés
plantés par la main de l’ami
oh verdures et prés
émaillés et fleuris
oh dites-moi surtout
s’il est passé parmi vous
Il a répandu mille grâces
en traversant les bois
rien qu’en les regardant
de son visage à chaque fois
sur chaque feuille il a laissé
un habit de beauté
Adaptation chantée de Pierre Eliane