Je porte le désir d’écrire ce billet depuis longtemps. J’aurais pu l’intituler “Le sacrement de la sœur”, mais notre langue étant ce qu’elle est, j’utilise l’expression ecclésiale qui englobe les deux genres.
Souvent, je n’en suis pas dupe, on me soupçonne d’être une pseudo-mystique ne pratiquant pas les œuvres de charité, déconnectée des besoins de ses frères et sœurs en humanité. Même en communauté de paroisses, je suis un peu regardée ainsi. Je ne suis pas très active dans ma paroisse, on me l’a souvent reproché de façon plus ou moins aimable, comme si être une bonne catholique au service de la mission relevait exclusivement d’un mandat pastoral de membre actif, de visiteuse de malades ou de bénévole à la Caritas.
Je ne veux pas me justifier par ce billet, mais tenter d’élargir les regards, non seulement pour mon bénéfice, mais surtout pour celui de celles et ceux qui pratiquent sans le dire et même sans le savoir “le sacrement du frère” au quotidien. Je trouve que même le pape François, que je tiens cependant en très haute estime, manifeste parfois une méconnaissance des œuvres de charité quotidiennes, notamment pour ce qui est de l’occident.
Je ne m’étendrai pas longuement sur la charité élémentaire : le don financier aux plus pauvres et aux œuvres humanitaires. J’ai toujours eu en détestation le fait de claironner devant soi ses aumônes. Celles qui plaisent à Dieu, indiscutablement et depuis les premiers écrits bibliques, ce sont les plus discrètes : Mais toi, quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite, afin que ton aumône reste dans le secret (Matthieu 6, 3-4). Que chacun examine donc sa conscience pour découvrir s’il donne pour être vu ou encore seulement pour un reçu fiscal. Je ferme cette parenthèse.
Le sacrement du frère !
J’ai été formée en Eglise à l’amour et au souci du prochain à travers un mouvement tel que la JOC (Jeunesse ouvrière chrétienne). Mais là encore, d’aucuns pourraient être tentés de me reprocher de ne plus m’y investir depuis que je travaille.
Souvent, je pense aux toutes premières religieuses enseignantes, qui se sont démenées pour que les exclus de la société, et notamment les filles, ne demeurent pas sans instruction. Et l’Eglise en a porté certaines aux autels de la sainteté.
Et aujourd’hui, tout se passe comme si la femme qui travaille était aux yeux de l’Eglise une bienfaitrice et une main d’œuvre perdues pour elle. A quel point ai-je senti, les quelques années où j’étais mère au foyer, que l’Eglise cherchait à me “récupérer” pour une mission de catéchèse ! Je me culpabilisais beaucoup, à cette époque, d’avoir décliné l’appel, et certains paroissiens en sont encore restés à cette manifestation de “mauvaise volonté” de ma part, comme si ce “Oui”-là à l’Eglise avait pu être pour moi l’équivalent du “Oui” de Marie !
Où vais-je en venir ?
A expliciter que la femme qui travaille ne travaille pas que pour gagner sa vie. Elle a ainsi un rôle dans la société, qui l’occupe presque à plein temps, et qui peut être source de bienfaits pour le prochain autant voire plus que celui d’une “dame patronnesse” !
Que fais-je de mes journées ? Mes enfants élevés et partis de la maison, je m’investis dix à douze heures par jour pour les élèves qui me sont confiés, en classe et dans l’école dont j’ai désormais la responsabilité. C’est une lourde tâche, dévorante, je commence à travailler à 7h30 et quand je rentre chez moi, il est souvent 18h, voire plus. Et je m’installe encore à mon bureau personnel pour achever des corrections et préparer la journée suivante. A ce rythme, je suis incapable de donner encore du temps en réunions paroissiales plus ou moins utiles en soirée. Je me couche épuisée à l’heure où mes petits élèves le font aussi.
Que l’on mesure ce que donne ainsi de son temps au prochain au long des semaines et des carrières une enseignante – nous sommes une grande majorité de femmes dans la profession. Et souvent, des femmes qui avons aussi des enfants et les élevons du mieux que nous pouvons.
Et il n’y a pas que les enseignantes qui soient au service du plus petit tout au long de leur carrière : que dire des infirmières surmenées, des aides-soignantes indispensables, des personnels de crèches et de maisons de retraite sans lesquels personne ne pourrait mener une vie sereine au travail… Que dire encore des assistantes maternelles, des aides à domicile, des auxiliaires de vie auprès des personnes en situation de handicap, des assistantes sociales ? Tous ces métiers sont largement féminisés, souvent mal rémunérés, et indispensables au fonctionnement d’une société telle que la nôtre !
Alors voilà, j’aimerais qu’à me lire, on prenne conscience qu’une femme qui a un métier de don de soi à l’autre fait bien plus pour son prochain au long des jours, que ce soit au nom de l’Evangile ou non, qu’un laïc engagé dans une œuvre ecclésiale à ses heures perdues et qui se fait abondamment applaudir à la messe de rentrée…