Cela arrivait dans la basse-cour de mon enfance : une volaille avait de velléités de s’élever vers le ciel, et mon père lui coupait toutes les plumes d’une aile. Je trouvais cela cruel, mais j’assistais, impuissante, à la condamnation au sol de cette pauvre créature.
Il est des situations, des mots emballés de courtoisie – ou pas – et le poison des ragots qui vous vouent aux abysses de l’estime de soi pour un bon moment. Pire qu’une amputation de quelques rémiges.
Et ainsi, j’ai aimé passionnément une école, jusqu’à lui consacrer douze à quatorze heures de mon temps par jour. Ces élèves-là, ces locaux-là, je les avais “dans la peau”. Depuis de longues années. Plutôt que de risquer d’en partir du jour au lendemain pour cause de couperet impitoyable des “seuils de fermeture” de classe, j’ai osé le choix fou mais raisonné d’en solliciter la direction, ce qui n’était ni dans mes ambitions, ni peut-être dans mes charismes. J’étais animée par le sens du service et de l’indéfectible fidélité. Le désir noble de faire un peu “autrement” que le copinage et la médisance sur celui ou celle qui venaient de passer la porte ayant prévalu pendant deux bonnes décennies. J’avais ce désir-là, qui n’était même pas une ambition, et la crainte d’être dévorée par les tâches administratives. Je n’ai pas discerné de quel côté allait se présenter l’ennemi, et été incapable de l’identifier à l’avance et à temps.
Avalanche soudaine de jugements et de mise en cause de ma pédagogie “trop lente” – moi qu’on avait souvent mise en garde contre mon excès de zèle en me disant “le trop est l’ennemi du bien” – avalanche de conseils “éclairés” sur notre métier par la jeune collègue ayant l’âge de mes enfants, avalanche de recommandations de la part de parents persuadés de comprendre le métier mieux que moi-même, malgré – à cause de ? – mes trente-cinq années d’expérience de classe. Recadrage vigoureux de la part de la hiérarchie sur la Bible actuelle – les programmes de 2016 remaniés récemment – qui sont vérité absolue… jusqu’au prochain gouvernement, mais chut, disant cela, je suis en train de franchir la ligne rouge.
Mon père s’asseyait sur le muret, il empoignait sévèrement la volaille à peine résistante, et, avec une paire de ciseaux immenses, il coupait les quelques plumes qui lui auraient permis de voler.
Ainsi de moi. En état de burn-out. Mais qui, dans les hautes sphères, s’en souciera ?
1 commentaire
Je m’en soucie moi et je te félicite de ta décision qui n’a pas été facile à prendre