1936 et 1962. Deux étés, deux ordinations, deux prêtres dans ma famille, alors que je n’étais pas encore née. Deux premières messes dans mon village natal, il y a respectivement quatre-vingt-trois et cinquante-sept ans. Un grand-oncle, décédé il y a plusieurs décennies déjà, et un oncle, le seul que j’aie, donnés au sacerdoce. On était prêtre d’oncle en neveu, mais dans ma génération, point de garçon dans la famille. L’âge venant, chacun des deux dut se résoudre à entrer en maison de retraite. Mon grand-oncle était un homme affable, humble et pieux. Il laissa tous les trésors de sa bibliothèque à son neveu prêtre, et de la vaisselle et quelques meubles, comme il se doit, à nous ses petites-nièces. Je regardais toujours la bibliothèque de mon oncle d’un œil gourmand. Aucun des deux ne s’était dit que tous ces livres religieux pouvaient intéresser aussi la femme avide de Dieu que j’étais. Et d’ailleurs, je ne suis toujours pas revenue d’une stupeur : il y avait encore, dans mon enfance, un troisième prêtre dans la famille, mais aucun des trois, jamais, n’a trouvé juste et approprié de nous offrir une Bible, à nous petites puis jeunes filles. Oui, aussi étonnant que cela puisse paraître dans une famille si catholique, il n’y avait pas la Bible dans la maison de mes parents ! Conséquence regrettable d’une sorte d’omerta ayant prévalu pendant des siècles sur la Parole de Dieu dans les milieux catholiques populaires…
Nous voici arrivées à l’été où il s’agit de vider la maison – très encombrée ! – de notre oncle entré en Ehpad. De bout en bout, j’ai eu pour principal souci de sauver de la déchetterie les trésors spirituels et ecclésiaux ayant appartenu à ces deux prêtres. Mon aînée désirant la bibliothèque vide, je me suis employée à en trier les livres et les objets de culte. Et j’en ai gardé beaucoup pour les emporter chez moi, comme un juste retour des choses après plus de cinq décennies à les contempler, inusités, sur les rayons. Personne n’a contesté que tout le religieux me revenait comme de droit. D’aucuns s’en gaussent, tout en me laissant remplir mes cartons pieux.
J’ai fait de la place dans ma propre bibliothèque, presque toute la place, et je les ai installés là, ces Bibles reliées, ces catéchismes anciens, ces missels qui ont soutenu deux vocations. Emouvant héritage plus spirituel que matériel, je les contemple, ces éclats de la parole de Dieu qui me parviennent, à travers cette tranche d’histoire de ma famille, alors que j’atteins moi-même la maturité de l’âge. Méditer les Ecritures et prendre la plume pour les commenter, plus que jamais, je me sens légitime à le faire. Même sans ordination.