A chaque fête de l’Assomption, je ressens le même malaise.
Il est très bon de fêter l’entrée de Marie, mère de Jésus, aux cieux de la première résurrection en son corps intact malgré la mort terrestre. Là est sa place, non loin du Père et du Fils, auprès desquels elle n’est pour nous qu’intercession attentionnée. Et je demeure catholique en ceci que je crois en quelques-unes de ses apparitions, en ce corps qui ne fut pas qu’une “illusion d’optique” pour Bernadette à Lourdes ou Catherine Labouré à la rue du Bac à Paris. Circonspecte sur bien d’autres fausses apparitions contemporaines, je mets ma foi en Marie par confiance en ces jeunes femmes très humbles et discrètes, dont toute la vie ne fut que consécration au Fils de celle qu’elles avaient vue de leurs propres yeux et chérie pour le restant de leurs jours
Ce n’est donc pas le dogme de l’Assomption que je remets en question, ce sont plutôt les lectures que l’Eglise choisit en ce jour qui me posent problème, et en particulier le psaume 44 (45) que je propose ici à la lecture dans la traduction de la Bible de Jérusalem, version de 1998.
Du maître de chant. Sur l’air : Des lys… Des fils de Coré. Poème. Chant d’amour.
Mon cœur a frémi de paroles belles je dis mon œuvre pour un roi, ma langue est le roseau d’un scribe agile.
Tu es beau, le plus beau des enfants des hommes, la grâce est répandue sur tes lèvres. Aussi tu es béni de Dieu à jamais.
Ceins ton épée sur ta cuisse, vaillant, dans le faste et l’éclat
va, chevauche, pour la cause de la vérité, de la piété, de la justice. Tends la corde sur l’arc, il rend terrible ta droite!
Tes flèches sont aiguës, voici les peuples sous toi, ils perdent cœur, les ennemis du roi.
Ton trône est de Dieu pour toujours et à jamais ! Sceptre de droiture, le sceptre de ton règne !
Tu aimes la justice, tu hais l’impiété. C’est pourquoi Dieu, ton Dieu, t’a donné l’onction d’une huile d’allégresse comme à nul de tes rivaux ;
ton vêtement n’est plus que myrrhe et aloès. Des palais d’ivoire, les harpes te ravissent.
Parmi tes bien-aimées sont des filles de roi ; à ta droite une dame, sous les ors d’Ophir.
Écoute, ma fille, regarde et tends l’oreille, oublie ton peuple et la maison de ton père,
alors le roi désirera ta beauté il est ton Seigneur, prosterne-toi devant lui !
La fille de Tyr, par des présents, déridera ton visage, et les peuples les plus riches,
par maint joyau serti d’or.
Vêtue de brocarts, la fille de roi est amenée au-dedans vers le roi, des vierges à sa suite. On amène les compagnes qui lui sont destinées ;
parmi joie et liesse, elles entrent au palais.
À la place de tes pères te viendront des fils ; tu en feras des princes par toute la terre.
Que je fasse durer ton nom d’âge en âge, que les peuples te louent dans les siècles des siècles. (Psaume 44 / 45)
A l’évidence, le psaume prophétise au sujet du Messie d’Israël, que nous chrétiens reconnaissons comme notre Seigneur Jésus Christ. Tous ces éloges au Roi qu’il est lui conviennent parfaitement. Par toute une vie incarnée sans aucun péché et son sacrifice rédempteur sur la croix, il est digne de toutes nos louanges. Oui, l’onction d’huile d’allégresse, nul ne l’a reçue mieux que le propre Fils de Dieu.
Et à sa droite, la dame qui se tient “sous les ors d’Ophir” pourrait très bien être celle qui lui a donné le jour, Marie, fille d’Isarël, la “reine mère” en quelque sorte. Marie élevée à sa suite, après lui, aux Cieux, événement que nous fêtons aujourd’hui comme tous les 15 août.
De là à faire de la fille de Tyr, conduite vers le Roi, encore une fois la même Marie, il y a un pas que personnellement je ne franchis pas. Comment concevoir qu’une mère ait à se prosterner devant le fils qu’elle a enfanté, fût-il Fils de Dieu ? Comment serait-elle conduite vers le Roi comme étant sa promise, sa fiancée, sa future épouse, alors qu’elle est sa mère ? Il y a manifestement deux femmes distinctes dans ce psaume, et la mère de Jésus est prophétisée dans la première des deux et non dans la deuxième.
Imaginez qu’à un mariage, tout le monde n’ait d’yeux que pour la mère du marié. Imaginez que tous les invités aux noces ne fassent que chanter la louange de la belle-mère, l’intronisant par là-même reine du jour. Imaginez que la mariée elle-même soit complètement ignorée face à cette belle-mère omniprésente, au point qu’on lui dénie jusqu’à son existence. Imaginez cette scène rocambolesque: on vénèrerait tellement la mère du marié qu’on la mettrait à son bras à la place d’épouse, méprisant la timide fiancée qu’il s’est pourtant choisie. On s’apprêterait ainsi à fêter des noces entre un roi et une reine n’étant autre que sa propre mère… Ne serait-ce pas une manière de dénier au roi sa vie adulte, autonome, son propre choix d’une fille de Tyr ayant gagné ses faveurs ?
Ne croyez-vous pas que la reine-mère en serait profondément gênée, le roi affligé et la jeune fiancée meurtrie ?
Cela vous semble une fable scandaleuse ou improbable ?
C’est pourtant là l’idéologie récurrente d’une certaine Eglise catholique, dans laquelle je ne me reconnais pas.
Image : Le Couronnement de la Vierge Enguerrand Quarton XVe
Musée Pierre-de-Luxembourg à Villeneuve-lès-Avignon.
2 commentaires
Effectivement le psaume pour la fête du 15 août détonne fortement , quand j’étais en paroisse je le faisais systématiquement remplacer par un chant marial, mais comme j’assure depuis cette célébration à l’EHPAD St Antoine d’Issenheim je ne peux plus procéder un tel remplacement,( je ne suis pas celui qui fait le programme de chants ) pour ce qui est des lectures, pour celle de l’Apocalypse, il est bon de dire que la femme mise en scène, ce n”est pas Marie, car selon une prophétie de l’Ancien Testament, il s’agit de Sion c’est-à-dire du peuple de Dieu ( et donc les 12 tribus d’Israël ) qui met le Messie ”au monde” – en second on peut éventuellement ajouter que c’est Marie, figure de l’Eglise bâtie sur les 12 apôtres qui met le Christ ” au monde”.
Pour ce qui est de la fête de l’Assomption, c’est, au fond, d’abord la fête de l’amour de Dieu qui s’est manifesté en Marie, c’est ce que j’ai dit ce matin aux résidents de l’EHPAD : Ce que nous fêtons aujourd’hui , ce n’est pas ce n’est pas une déesse , une divinité féminine ou une reine vêtue de soie avec une couronne en or – Nous fêtons Marie, une femme de la terre, la première des ressuscités à la suite de Jésus, son fils – cette particularité – ou ce privilège – ne tient pas à ses mérites ou à ses actes mais découle de ce qu’est Jésus-Christ – ce qu’elle est vient de Dieu : elle même, dans le récit de l’annonciation s’est dite « l’humble servante du Seigneur » – elle reconnaît que ce qu’il lui donne c’est par grâce, par amour et sa louange la tourne vers Dieu,
Luc, pour bien le marquer a mis dans sa bouche le chant d’action de grâce dont Marie n’est pas l’auteure, l’évangéliste a juste ajouté le verset qui la concerne, voilà pourquoi prier Marie nous renvoie constamment vers le mystère de Dieu qui, pour les libérer, les sauver, s’est rendu proche des hommes en Jésus Christ.
Pour donner tout son sens à ce que nous fêtons aujourd’hui, c’est par le Christ ressuscité qu’il nous faut passer Bien sûr, il y a l’image de cette femme mis en scène dans le passage du livre de l’Apocalypse – selon une prophétie de l’ancien testament, cette femme, c’est Sion, c’est-à-dire : le peuple de Dieu, avec les 12 tribus d’Israël, qui engendre et donne naissance au Messie et aux croyants – puis, plus tardivement, on y a vu Marie, figure de l’Église ‘’bâtie’’ sur les 12 apôtres,, qui enfante le Christ pour le donner au monde. Nous qui sommes des croyants qui accueillons, écoutons et mettons en pratique la Parole qui vient de Dieu, sommes-nous à l’image de la femme du Livre de l’Apocalypse ? – Que mettons-nous au monde ? A quoi donnons-nous vie par nos paroles et nos comportements ? l’Eglise nous est donnée, mais il reste que nous avons aussi, d’une certaine façon, à la mettre au monde, à la faire naître, à faire en sorte qu’elle soit bonne nouvelle pour nos semblables et cela passe un peu à travers nous, à travers nos paroles et nos comportements
En cette fête de Marie, la première des ressuscités, prions-là en lui disant : « Marie, redis-nous, comme tu le fis jadis aux serviteurs de la noce de Cana, oui, redis-nous, sans te lasser, en nous montrant ton fils : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le »
Bonjour Raymond,
J’apprécie votre commentaire sensé et mesuré. Oui, notre Eglise a trop tendance à mettre Marie derrière toutes les figures féminines allégoriques de l’Ecriture, en la déifiant à l’excès.
Personnellement, j’aime à penser, cependant, que Marie, connaissant par imprégnation les Ecritures de sa culture juive, a effectivement prononcé son sublime “Magnificat”. On y retrouve beaucoup d’éléments du Cantique d’Anne mère de Samuel ( 1 Samuel 2, 1-10), que Marie connaissait sans nul doute, mais elle a néanmoins personnalisé son propre Magnificat selon ce qu’elle-même vivait d’extraordinaire par grâce de Dieu. Veillons à ne pas retirer de la bouche des saintes femmes de la Bible leurs paroles personnelles, souvent très élevées spirituellement.
Je vois encore un autre écueil à éviter : n’avons-nous pas tendance à voir facilement le Christ Jésus ou Jean-Baptiste dans des figures des Prophètes ( le Serviteur Souffrant d’Isaïe 52-53 ou le Messager en Isaïe 40), mais dès qu’il s’agit d’une figure féminine, (Isaïe 54 ou 62), les commentateurs s’empressent de dire que c’est Sion, ou l’Eglise, mais se refusent à considérer que cette figure puisse aussi prophétiser une femme de chair et de sang qui ne soit pas forcément Marie ? Je donne le conseil de relire et de méditer Isaïe 62 en se libérant de cette tendance à considérer que le chapitre 62 évoque une ville (Jérusalem) ou encore la “Jérusalem céleste”, mais bien une femme qui vient après le Christ Jésus et qui est élue par lui et le Père. Cela change la perspective, non ?