C’est l’histoire d’une passion et d’une très grande frustration d’enfance, celle d’un rêve remisé aux oubliettes de ma vie.
Cela doit commencer à mes cinq ans. Je suis chez ma tante, ma cousine tout bébé fait la sieste, et là au salon trône LE piano. Cet instrument me fascine, même si personne n’en joue ici pour le moment. Je soulève le couvercle de clavier et j’appuie sur quelques touches, émerveillée du son généré. C’est magique ! Jusqu’à ce que mon oncle arrive et me gronde assez violemment car je vais réveiller ma cousine…
J’ai dû commencer à dire à ce moment-là à mes parents que je voulais apprendre à jouer du piano. Peine perdue. Ils n’ont entendu qu’une demande irréalisable en raison de leur faible budget, et pas le très puissant désir de leur petite dernière.
Je vais traîner pendant de très longues années la tristesse de ce rêve brisé.
Ma cousine grandit, et quant à elle, comme ses parents sont plus aisés que les miens, elle prend des cours de piano. Je suis fascinée par les petites pièces de la “Méthode rose” qu’elle nous joue, et je lui demande de me les apprendre. Pas peur du ridicule, non, même si elle a sept ans et moi douze. De toute façon elle a toujours été comme ma petite sœur chérie, je lui découpe des vêtements pour ses poupées en carton, je lui bricole même une maison de poupées, et elle, elle me prête sa “Méthode rose” quand nous leur rendons visite… pas assez souvent à mon goût.
Plus tard encore, au lycée, il y a un piano au sous-sol (déjà). Avec quelques amies, nous obtenons l’autorisation de nous rendre dans cette pièce après le repas de midi. Magie à nouveau, les copines connaissent des petits airs rock, et on joue, on joue, sans aucune technique, mais le piano résonne ! Jusqu’au jour où le proviseur apprend qu’on fait venir là même des amis d’un autre lycée, c’est devenu le “foyer au piano”, et les surveillants nous en interdiront désormais l’accès. Pourtant, nous ne faisions vraiment rien de mal.
Alors je traîne ma frustration, jouant furtivement ici et là à chaque fois que je rencontre un clavier. Je n’ai toujours pas dépassé le stade d’un unique morceau de la “Méthode rose” et mes petits accords rock.
Arrive vers mes seize ans dans ma vie une grande amitié : une correspondante allemande adorable – nous sommes toujours amies – qui est en outre une excellente pianiste. Chez elle, je passe des heures à l’écouter, et elle m’enregistre des cassettes audio quand elle donne des concerts. Je suis plutôt fascinée par son niveau de virtuosité que par son instrument, je verrai néanmoins ses yeux pétiller quand ses parents lui offriront un piano à queue sur lequel elle jouera encore plus d’heures qu’avant. Je me souviens très bien de la façon amoureuse dont elle parlait de “son Grotrian” (un Grotrian Steinweg, marque allemande réputée).
A nos heures perdues, elle commencera aussi à m’apprendre à jouer le “Prélude N°1” de Bach. Seulement un début du morceau, puisque je ne reste jamais très longtemps chez elle.
Je passe sur les longues années pendant lesquelles je me suis concentrée sur les loisirs de mes enfants. Nous avons eu des claviers électroniques à la maison, pour eux, mais je ne m’y suis plus beaucoup intéressée. Manque de temps, et il n’y avait pas là la magie du piano à cordes.
Jusqu’à il y a trois semaines. Je suis allée chez Emmaüs avec mon fils pour un achat qu’il était tout indiqué de faire là-bas. Tout un bric-à-brac de néanmoins très bonnes affaires à faire.
Au moment d’aller payer l’achat de mon fils, je remarque un meuble sans éclat posé là et qui sert un peu de comptoir.
“Ça alors, regarde, c’est un piano !”
J’ouvre le couvercle et je redeviens la petite fille de cinq ans. Quelques notes, ma parole, mais il sonne très bien, pas du tout en rapport avec son allure ! Et là, une étiquette de prix qui semble une blague : 40 €. Le compagnon d’Emmaüs me confirme que c’est bien là son prix. J’observe, je cogite, je pars, je reviens, je n’y tiens plus, je dis à mon fils : “Je le veux !”
40 € pour un piano droit !
Il faudra un peu négocier pour qu’il me soit livré, mais l’affaire est conclue, il viendront mercredi, livraison : 8 €, mais uniquement si c’est de plain-pied.
De plain-pied, chez moi, il n’y a que le garage. C’est donc là que les compagnons d’Emmaüs déchargeront le mystérieux piano qui ne raconte pas sa provenance.
Et donc, depuis deux semaines, je descends tous les jours une bonne demi-heure, voire plus, au garage… pour jouer du piano ! J’ai les doigts gourds, je suis encore très maladroite, je ne sais pas déchiffrer la clé de fa, mais voilà, je retravaille tous les jours le Prélude en do majeur de Bach ! Merci mon amie allemande pour les tous premiers cours, merci aux tutoriels, merci aux partitions simplifiées que l’on trouve facilement sur le net !
Mon piano, je le veux au salon. J’ai définitivement viré la télévision – elle est partie chez Emmaüs – le piano viendra là ! Je n’attends que quelques bonnes volontés musclées pour le faire cheminer jusqu’à son emplacement via la terrasse. On y arrivera !
Et vous savez quoi ? Sa marque de fabrique ne se lit plus très bien, mais j’y ai regardé de près : c’est un Grotrian Steinweg !
“Mon Grotrian !”
Bah, je n’aurai attendu que cinquante ans…
Ecouter le Prélude N°1 en do majeur de Bach :
4 commentaires
“Ce que vous demanderez avec foi, vous l’obtiendrez”
Oui j’y crois beaucoup Jean-Louis, c’est la raison pour laquelle je m’obstine toujours dans mes prières d’intercession ! 🙂
Quel bonheur de lire ton bonheur !
Et oui je me souviens de ces moments au lycée, déjà au sous-sol, avec le piano qui reliait quelques amis…
Comme quoi, quand un désir est puissant, il finit par trouver son chemin !
Et le piano (re)vient à toi, ou le contraire… Et il va enfin pouvoir partager ta vie !
En plein soleil, très bientôt…
Merci ma Cath, oui, j’ai hâte qu’il prenne place au salon, pour ne plus en sortir…
Et puis je prendrai des cours, voilà, il n’est jamais trop tard pour assouvir une passion ! 😉