Bien sûr, il y a les vœux pieux et les homélies un peu culpabilisantes que nous allons entendre pendant le temps de Noël : c’est le moment de faire la paix, de se réconcilier avec son prochain, de pardonner à qui nous a fait du tort, de demander pardon à ceux à qui nous en avons causé… Bien sûr.
Chacun examinera lui-même sa conscience, et s’il est vrai qu’il faut parfois ravaler son orgueil pour demander pardon ou pour pardonner à autrui, ne perdons pas de vue que dans certaines circonstances, ce n’est pas forcément souhaitable, surtout quand l’orgueil n’est pas en jeu, non, mais la survie psychique, oui.
Il y a parfois, malheureusement, dans le discours chrétien, des injonctions au pardon inappropriées. Loin de comprendre ce qui a causé une rupture de relations, le donneur de “bons” conseils va risquer de raviver des douleurs plutôt que de les amener à se cicatriser avec le temps voire l’éloignement définitif.
Je prends quelques exemples : une personne ayant un parent toxique, véritablement toxique – je pense à ces parents qui soumettent leur enfant, jeune ou adulte, à des injonctions contradictoires qui peuvent ruiner un psychisme. “Tu ne viens jamais me voir !” se plaint le parent. L’enfant y va et se prend une bordée d’insultes ou une manifestation de parfaite indifférence à ce qu’il est, à ce qu’il vit. Aucune question le concernant, mais des jérémiades égoïstes à engranger patiemment. L’enfant en ressort meurtri… jusqu’à la prochaine scène de “double bind”. J’ai donné un exemple “soft”, certaines injonctions paradoxales étant bien plus néfastes encore.
Il est bon, parfois, de sortir de l’angélisme chrétien. Il existe des personnalités toxiques, oui, malheureusement. Et mieux vaut s’en prémunir quand on a fini par identifier le danger pour soi-même. Telle personne peut être toxique avec vous et uniquement avec vous. L’entourage ne comprend pas et veut vous réconcilier l’un avec l’autre. Il faut être fort, parfois, pour résister à ces manœuvres.
“Tu aimeras ton prochain comme toi-même” n’a jamais signifié : “Tu aimeras ton prochain au risque de te détruire toi-même.”
Qu’est-ce qui se joue au juste dans une personnalité toxique à laquelle on est confronté lorsqu’on sait le plus honnêtement du monde que l’on n’a soi-même rien à se reprocher ? Il est notable que ce sont souvent les personnes les plus conciliantes, les plus authentiquement “évangéliques” qui se font dévorer par les narcissiques. Je sais bien que l’Adversaire, celui que le curé d’Ars nommait avec justesse “le Grappin” n’est plus à la mode au XXIe siècle. On le sait, sa plus grande ruse est de faire croire qu’il n’existe pas. Et souvent, les narcissiques eux-mêmes professent qu’il n’existe pas, alors qu’il les a envahis tout entiers et qu’il se frotte les mains de pouvoir harceler la victime désignée, ayant trouvé un bourreau si complaisant. Inutile aussi d’imaginer le Diviseur en être sordide et baveux. Il est souvent très policé, passe très bien en société, soigne son apparence et harcèle discrètement et avec raffinement sa proie, hors de la vue de tout témoin.
Eh bien, si vous êtes une telle victime, tenez-vous à bonne distance de lui, même si votre curé vous culpabilise à Noël dans une homélie pleine de bons sentiments et d’injonctions à lui tendre la main.
Nulle part, dans l’Evangile, on ne voit Jésus se réconcilier avec “le prince de ce monde” venu le tenter au bout de quarante jours dans le désert…
3 commentaires
Bonjour Véronique,
Tout d’abord merci pour vos réflexions, je découvre votre blog.
Il faut être deux pour se réconcilier. On oublie souvent que le pardon, dans sa totalité, ne dépend pas intégralement de moi, que je sois celui qui pardonne ou celui qui est pardonné.
Ce qui dépend de moi et que l’évangile me commande, c’est de faire tout mon possible, intérieurement et dans la relation, pour ouvrir la voie du pardon. Mais si l’autre, comme dans l’exemple que vous soulignez, s’obstine dans un comportement qui vous a détruit, le pardon n’est pas possible. Ce ne serait qu’une phrase creuse et un théâtre où les marionnetes singeraient les vertus chrétiennes. Ainsi vous avez raison, il vaut mieux éviter cette relation, car ce qui vous détruit est votre ennemi. Il n’y a aucun pardon à donner à des actes destructeurs qui persistent, ce serait vous négliger vous-même, ce qui est une faute grave qui va contre le désir naturel et légitime de la conservation de soi. Le pardon se donne à celui qui a authentiquement pris conscience du problème et désire modifier les choses, à condition que vous ayez en vous-même réussi à vous libérer de vos ressentiments et de votre souffrance. Car il n’est jamais bon de donner un pardon quand on n’est pas prêt à le faire, ce serait mentir à autrui et à soi-même.
Nous avons des ennemis. Jésus demande de les aimer non dans le sens d’une affection de sympathie, mais dans le sens où le chrétien doit se disposer intérieurement à voir en cet ennemi un ami potentiel, car il est aussi une participation au don de l’être par Dieu. Il ne s’agit pas d’aimer ce qui en lui nous le rend ennemi, mais d’aimer ce qui en lui pourrait nous le rendre ami, et d’espérer en ce sens. Le chrétien doit favoriser cela autant que possible. Si l’ennemi ne change rien et devient dangereux, alors il n’appartient pas au chrétien de persévérer là dedans. Il lui faut attendre que l’autre se réforme, s’il le fait. Cela ne dépend pas de lui. Ce qui dépend de lui, c’est de se protéger, et de se disposer intérieurement à l’accueil de l’autre s’il venait à cesser ses comportements qui le rendent ennemis.
Soyez simple comme des colombes et prudent comme des serpents! Le discours contemporain sur le pardon devient niais parce qu’il a oublié sa réelle difficulté, que tout ne dépend pas de nous, et l’impératif de prudence face à l’adversité du réel. On a dilué le pardon dans le simplisme, qui n’a rien à voir avec la simplicité. Le simplisme cède à la facilité aveugle, tandis que la simplicité est difficile à atteindre, d’autant plus qu’il faut la conjuguer avec la prudence.
Bonjour Le Cygne, bienvenue sur ce site et merci infiniment pour ce commentaire vraiment très intéressant. Je me sens réconfortée par vos mots, car rompre ce type de relation toxique qui peut durer très longtemps n’est vraiment pas facile… J’ai du mal, personnellement, à me défaire d’un vague sentiment de culpabilité pour n’avoir plus voulu continuer à jouer ce jeu de dupes où j’étais toujours perdante…
Je comprends ce sentiment que vous avez. Il provient sans doute d’un élan d’amour et d’un désir ardent de réconciliation avec autrui. Mais quand le réel résiste, il résiste, et si l’autre ne veut pas prendre la voie du repentir et infléchir son désir pour instaurer une relation sur de bonnes bases, le pardon ne peut pleinement s’accomplir, et la prudence prévaut. Vous ne pouvez pas être coupable de ce qui ne dépend pas de vous.
Pour ma part, je crois que la prudence implique aussi la vertu de patience, et ne pas désirer hâter les choses, sinon on n’est pas accordé au rythme des autres. C’est très difficile à faire, j’en conviens!
Je crois que tout ce qu’il est possible de faire dans ces relations “toxiques” où le problème vient clairement d’un autre, c’est de se tenir prêt pour accomplir le pardon s’il devait se devenir possible un jour, et puis ne rien faire qui aille dans le sens d’une vengeance personnelle. Et espérer pour que celui qui persécute comprenne le problème et change de voie. Pas facile non plus, mais le Sermon sur la Montagne est exigent, à commencer par cette résistance au mal par le bien et l’amour des ennemis…
Je vous souhaite une bonne soirée.