L’évangile lu aujourd’hui en Eglise (Jean 1, 29-34) raconte la révélation à Jean le Baptiste de la filiation divine de Jésus :
« J’ai vu l’Esprit descendre du ciel comme une colombe et il demeura sur lui.
Et moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’a dit :
“Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer, celui-là baptise dans l’Esprit Saint.”
Moi, j’ai vu, et je rends témoignage : c’est lui le Fils de Dieu. »
Et dans beaucoup d’homélies prononcées ce jour, on a entendu, comme par exemple à l’abbaye de Tamié ce matin :
Désormais, c’est à chacun de nous que Dieu dit : « Tu es mon fils bien-aimé ; en toi je trouve ma joie. » (Frère Raffaele)
Cela est juste. Nous devenons enfants de Dieu par le baptême chrétien. Point n’est besoin de naître par conception miraculeuse comme Jésus, puisqu’en Lui, l’Agneau sans tache, nous pouvons trouver le pardon de nos péchés, et que par Lui, et avec l’appui des sacrements de l’Eglise, l’Esprit Saint nous est donné. Double grâce dont tout un chacun peut bénéficier gratuitement en demandant le baptême et la confirmation, en gardant l’habitude de confesser ses péchés pour en recevoir le pardon, en cherchant dans ce cheminement à croître en sainteté. Grâce offerte et irrévocable.
Néanmoins, je voudrais souligner un paradoxe.
Au temps de Jésus, ses coreligionnaires n’ont pour la plupart pas voulu croire qu’il était Fils de Dieu, et ce malgré le témoignage de Jean-Baptiste, puis celui de Pierre, de Marthe, de la Samaritaine… Il était inconcevable pour les Juifs pieux de ce temps que Dieu se donne un Fils ayant pris chair d’une femme, Marie, sans intervention masculine, et force est de constater que beaucoup de nos contemporains, même baptisés, n’y croient toujours pas. Cet article de foi est cependant bien connu et confessé par les nombreux croyants qui osent l’admettre avec simplicité de cœur. Et il est véridique. Je ne cesserai de proclamer, pour ma part, que Jésus est bien ce véritable Fils de Dieu, de la substance du Père, le Messie promis à travers toute la Première Alliance.
Au long des siècles, les chrétiens n’ont en tout cas plus eu de retenue à se dire fils ou fille de Dieu. Cela semble désormais couler de source, de même que l’affirmation d’avoir part à l’Esprit Saint. Et nous voici donc dans la situation inverse de celle vécue par Jésus en son temps : personne ne pouvait à l’époque être fils de Dieu, et donc lui non plus.
Aujourd’hui, tout chrétien se dit légitimement fils ou fille de Dieu. C’est une affirmation de baptisé qui ne devrait donc choquer personne, surtout pas en Eglise.
Or voilà, comme je l’ai déjà écrit ici ou là sur ce site – je ne m’en cache pas car je n’en ai point de honte – moi, baptisée, confirmée, croyante ardente, j’ai été internée par deux fois par mon entourage, pourtant catholique, essentiellement pour m’être déclarée “fille de Dieu”. Ce qui était absolument irrecevable pour mon mari, notre curé, toute ma famille – tous baptisés ! – et jusqu’à mon beau-frère infirmier psychiatrique qui s’acharna contre moi quand je lui dis, pressée de questions : “Mais je ne peux pas renier ce que je suis !”
Je me souviens très bien de mon tout premier entretien avec le psychiatre hospitalier – chrétien croyant, je l’ai su par ailleurs – qui me dit d’un air consterné :
“Mais enfin Madame, vous avez dit que vous êtes la fille de Dieu !”
Et de me garder trois semaines en service fermé. C’était il y a presque vingt ans.
Voilà mon histoire. Il m’avait à l’époque fallu trente-six ans, entre foi ardente, agnosticisme et grâces indicibles pour enfin comprendre que oui, fille de Dieu, je l’étais vraiment, par mon baptême à deux semaines de vie, ma confirmation à treize ans et toute une vie d’adolescente et de jeune femme en continuelle et très exigeante quête spirituelle. Il m’avait fallu trente-six ans pour comprendre que j’étais fille de Dieu par grâce, appel, élection, amour d’éternité de Sa part. J’en étais si étonnée que mon psychisme en a été complètement bouleversé. Là où les autres se disent fils de Dieu, fille de Dieu sans se poser aucune question et avec un aplomb extraordinaire, moi, à l’apprendre, j’en ai été retournée à l’extrême, dans une conversion totale, irréversible, spectaculaire, qui m’a mis tout mon entourage à dos, y compris les catholiques les plus convaincus, et je n’ai vu personne se lever pour manifester l’intention de m’écouter vraiment en profondeur et pour empêcher mes proches de me faire interner.
Alors je pose aujourd’hui la question : vous les baptisés qui me lisez, êtes-vous donc davantage fils et filles de Dieu que moi pour aller et venir en liberté tout en confessant cela ? Y a-t-il donc au monde quelques milliards de fils et de filles de Dieu légitimes, quand moi je ne le serais pas ? Suis-je donc la seule à être considérée comme une malade mentale parce que j’ose désormais affirmer :
“Je suis la fille de Dieu.” ?
Ou alors, n’est-ce pas plutôt qu’ayant bu au calice de la persécution jusqu’à descendre aux tréfonds de la souffrance humaine, je suis justement un peu plus légitime que d’autres à affirmer ma filiation divine, dans l’Esprit ?