J’avais 17 ans et j’étais en vacances dans le chalet de montagne de ma tante et de mon oncle, avec mes bien-aimés cousin et cousines. Randonnées mémorables, moments joyeux avec tous les enfants qui peuplaient ces chalets l’été, raclettes au feu de cheminée, le fromage piqué sur un gros clou sur une planche de bois, chacun attendant son tour quand mon oncle passait son couteau sur le délice ainsi fondu…
Nous étions allés faire de grandes courses et mon oncle s’était réjoui d’une bouteille d’Armagnac qu’il s’était offerte pour la déguster en soirées avec les voisins. Au retour, j’aidais à ranger les victuailles, et voilà que la bouteille d’Armagnac m’échappe des mains et se brise violemment sur le carrelage du chalet. Confusion extrême, et courroux de mon oncle. J’aurais voulu disparaître.
La nuit, je dormais sur la mezzanine ouverte sur le salon. Mon oncle et ma tante recevaient des amis, et je l’entendis, lui, se plaindre encore de ne pouvoir servir le précieux Armagnac que sa nièce malhabile avait gâché. J’étais morte de honte, mais j’entendis ma douce tante, toujours bienveillante, lui demander de cesser avec cette histoire.
Ainsi va la vie. Quelques années plus tard, c’est leur histoire d’amour qui a cessé, douloureusement, et plus proche que jamais de ma tante, en grandissant, j’ai partagé avec elle maintes confidences. Celui qui avait tout de même été longtemps notre oncle manquait par moments à notre famille, c’était une très forte personnalité, un hyperactif charismatique et très drôle mais parfois tyrannique aussi. Je partageais la douleur de mes chers cousin et cousines quand, longtemps, il se mit à les ignorer. Nostalgie pour eux et sous nos regards compatissants du père très attentionné qu’il avait été, souvenirs d’enfance en bataille… Je lui dois ne n’avoir, de toute ma vie, jamais fumé la moindre cigarette : oh non pas par l’exemple, c’était un très gros fumeur, mais par le souvenir cuisant d’une bouffée qu’il m’avait proposée vers mes 10 ans, et qui m’étouffa tellement que je fus vaccinée à vie contre le tabac !
Et hier, un message tragique de ma cousine sur mon téléphone : son père, septuagénaire, emporté par un cancer… Il aura eu le temps de se réconcilier largement avec ses enfants une fois devenus parents à leur tour et de jouir de ses petits-enfants. Je l’ai revu une seule fois cette dernière décennie, au mariage de ma cousine, il avait feint d’abord de ne plus nous connaître les uns et les autres, avant, en fin de soirée, de s’asseoir à mes côtés pour me faire maints compliments sur mon artiste de fils. Ses mots m’avaient profondément touchée. Il restait mon oncle.
Alors hier soir, les souvenirs me sont revenus en pagaille, des rires de l’enfance jusqu’à l’humiliation de la bouteille d’Armagnac.
Paix à cette âme tourmentée…