Déjà, après presque deux semaines de confinement, des initiatives nouvelles surgissent : des jeunes qui se mettent spontanément au service de leurs aînés dans certains quartiers pour aller faire des courses à leur place, des musiciens qui font profiter leurs voisins de leur talent, de l’entraide, du partage en respectant la distance minimum d’un mètre… Le téléphone sonne, et on a la joie d’entendre des amis qui n’avaient jamais le temps, on prend des nouvelles de la famille élargie, on en donne à tout son répertoire, on parle de jardin à jardin avec des voisins qu’on avait tendance à ignorer, on remercie la caissière et les éboueurs, on prend souci de l’aide-soignante en manque de masques, on redécouvre l’impérieuse nécessité de l’hygiène et le mérite des petites mains qui la renouvellent jour après jour, on se soucie du petit producteur qui n’écoulera pas sa marchandise ce printemps, on a envie d’acheter local et français, on trouve vains ses projets d’évasion en avion quand le square ou le bois voisins sont déjà des territoires convoités et devenus inaccessibles…
Les valeurs se remettent en place, cahin-caha, dans l’adversité partagée. Confinés, nous le sommes tous, et le virus vecteur de mort frappe à l’aveugle, de plus petit au plus puissant. Et chose, remarquable, quand le plus petit, le plus fragile, le plus âgé, le moins productif de la société est frappé, on s’émeut néanmoins comme jamais, on pleure devant un avis mortuaire au nom connu – ou pas – on fait vivre une immense chaîne de prière pour que le plus humble ne meure pas, on regarde, pétrifié, un pape âgé tout seul sur une place Saint Pierre noyée des larmes du ciel et du Christ. On l’écoute soudain comme peut-être jamais on ne l’a écouté, et on n’a pas envie de polémiquer, non, pas ce soir. Demander grâce et implorer la miséricorde du ciel dans l’affliction, avec une petite lueur d’espérance.
Qu’en surgira-t-il ? Une envie de faire corps les uns avec les autres plus longtemps, même quand on pourra s’égailler dans villes et champs, une envie de commerce local, d’économie plus humaine ? Un plus grand respect pour les métiers de l’ombre qui nous auront fourni, le temps du confinement, hygiène, soins et nourriture ? Une plus grande considération pour ceux qui se donnent dans le service d’autrui, de l’aide-ménagère au médecin en passant par l’enseignant naguère si décrié ?
Qu’en surgira-t-il ? Le souvenir de tant de bonnes volontés possibles et mobilisables, un peu plus d’humanité, un peu plus de simplicité de vie ?
Au sortir de cette crise sanitaire majeure, nous serons différents, à n’en pas douter.
Puissions-nous, dans ces heures sombres où chacun est confronté à la question de la mort pour ses proches ou pour soi-même, rester un peu plus humains, un peu plus soucieux les uns des autres, un peu plus heureux d’être restés en vie et en santé, proches de nos bien-aimés.