Hier était une journée de jeûne et de prière interreligieuse pour implorer le Seigneur de mettre fin à la pandémie de Covid-19.
Le soir venu, j’ai regretté dans mon oraison de ne pas y avoir clairement participé. Jeûner de nourriture, c’est quelque chose que je fais peu. Prier, ce jour-là, je m’y suis peu consacrée aussi, occupée entre la visite d’un accordeur pour mon piano et la joie de lui découvrir un son magnifique sous les doigts virtuoses de cet artiste, moi qui ne suis qu’une débutante hésitante, puis du ménage, puis quelques exercices au piano… A vrai dire, on a toujours mille excuses pour zapper un peu la prière au cours d’une journée bien remplie.
Mais je suis très très loin d’être indifférente à cette tragique pandémie qui m’a arraché une amie partie en moins d’une semaine, a fait trembler toute ma famille et mes amis pour un jeune être cher finalement guéri quelques jours avant Pâques, et a supplicié la région où je vis pendant de longues semaines de grande tension dans les hôpitaux et d’interminables listes d’avis mortuaires.
Alors hier soir, j’étais un peu honteuse devant le Seigneur de n’avoir pas marqué davantage cette journée d’intercession du 14 mai 2020.
Et puis Il était là, doux, tranquille et aimant, tel qu’en Lui-même, tel qu’Il s’offre dans la profondeur de l’oraison. Et je n’ai pas ressenti en son être de reproche. J’étais là, paisible et sereine, un peu contrite, Il était là sans l’ombre d’un courroux. Comme je m’en étonnais, le Seigneur m’a amenée à comprendre qu’Il avait agréé cette initiative interreligieuse et un autre jeûne dont nous n’avons pas forcément pris conscience, et qui lui a plu. Un jeûne radical dans lequel nous avons tous été plongés, croyants ou non, ce vaste carême imposé par un virus et nos gouvernants, du début du printemps jusqu’au delà de Pâques, un jeûne plus adapté au monde occidental où on confond parfois la privation de nourriture pour perdre du poids et celle qui pourrait plaire à Dieu. Le jeûne de carême devient régime qui nous arrange tandis que l’hémisphère sud souffre la cruauté de la faim. Aussi, ce jeûne-là, Dieu en est-il rassasié. Bien plus dure a été pour nous occidentaux, avec le confinement subi, la privation de sorties, de loisirs et de liberté. Dans ce monde à la fois aisé et très inégalitaire, l’opulence se mesure plutôt de nos jours à ces critères qu’à la table garnie. Je lisais ici ou là sur les réseaux sociaux que les nantis se rendaient enfin compte de ce que signifiait vivre avec des ressources minimales : ne pas sortir de sa cité ou de sa campagne dépourvues de vie culturelle, ne pas fréquenter restaurants, salles de spectacle et cinémas, ne pas pouvoir s’adonner à des sports et loisirs coûteux, ne pas parcourir le pays voire le monde à la recherche de dépaysement… Ce dont les plus démunis de nos sociétés inégalitaires ne jouissent jamais, tous en ont cette fois été brutalement privés. Instant peut-être salutaire de prise de conscience de ce qu’est une vie sans argent, et de ce que peut devenir une vie sans liberté. Nous avons tous été agacés par ces attestations nécessaires pour aller prendre l’air ou acheter son pain. Frustrés de la forêt qui nous appelait juste à côté et qui devenait soudain aussi inaccessible qu’au cœur des villes, des parcs fleuris et verrouillés en ce beau printemps, des plages interdites même aux Parisiens réfugiés à l’Ouest… Nous avons tous porté une sorte de bracelet électronique virtuel, et les plus fragiles ou mal logés ont goûté à l’amertume d’être enfermés durablement entre quatre murs, souvent dans la promiscuité, comme des repris de justice.
Alors hier soir, au creux de mon oraison, j’ai compris que ce jeûne-là, non choisi et non calculé comme une petite prouesse religieuse personnelle, avait été le vrai jeûne agréable à Dieu. Pourvu que naisse en nous une plus grande conscience de notre chance d’être libres et en capacité de nous distraire de la monotonie des jours, et surtout une plus grande solidarité avec ceux dont le quotidien ordinaire ressemble à notre ressenti du confinement, quand il n’est pas pire au fond d’une geôle ou de la misère absolue.
Alors seulement, j’ai risqué ma prière de demande pour que s’amorce enfin une sortie de cette pandémie. Et je ne priais pas un thaumaturge qui allait lever un bras puissant pour abattre martialement le terrible coronavirus, mais un Dieu qui fait alliance avec l’homme pour bénir les chercheurs et donner l’intelligence à nos Louis Pasteur contemporains de mettre au point au plus vite le vaccin salvateur tant espéré. Et dans la paix de cette prière, j’ai espéré l’issue, vraiment. Comme un exaucement.