Depuis plusieurs années, les affaires de pédophilie dans l’Eglise sortent de la gangue du silence coupable qui les entourait et ont fait maintes fois la une des journaux. Moins connus étaient les cas d’abus sexuels doublés d’abus spirituels sur des femmes majeures voire des religieuses. Le reportage d’Arte “Religieuses abusées, l’autre scandale de l’Eglise” il y a quelques mois a révélé de façon crue l’étendue de cet autre volet de la perversité de certains prêtres ou religieux usant et abusant de leur autorité spirituelle pour parvenir à leurs fins de prédateurs sur des femmes en situation de dépendance et souvent incapables de se défendre tant est sidérante l’attitude de leurs agresseurs.
Le livre de Claire Maximova que je viens de lire détaille au scalpel le processus d’emprise spirituelle qui conduit ici à des abus sexuels répétés, initiés dans la clôture du carmel où l’auteure avait fait profession, et aggravés par la suite quand elle vit hors de la clôture tout en désirant observer la fidélité à ses vœux carmélitains. Le récit est dur, sans concession, et l’on mesure à quel point l’innocence, l’élan de désir de sainteté et la sincérité de la foi de Claire Maximova ont été mis à mal dans un premier temps par la dureté extrême de la vie dans un carmel aux religieuses vieillissantes acceptant mal les initiatives de la jeune moniale, et dans un second temps par le travail de sape de toutes ses aspirations les plus pures par le religieux qu’elle s’évertuait à considérer comme son frère spirituel et son seul soutien dans l’Eglise. Ce dernier profite impunément, pour la satisfaction de ses pulsions, de l’état de solitude extrême dans lequel la jeune carmélite a été laissée, abandonnée de toutes parts dans cette Eglise à laquelle elle aspirait pourtant à donner sa vie.
Outre le drame des abus sexuels que l’auteure a vécu, on discerne dans son récit toute la souffrance de n’avoir été presque jamais reconnue pour son ardente vocation. Ses aspirations nobles et désintéressées nées dans l’Ukraine post-communiste ne seront à peu près jamais prises au sérieux en France, elle s’y heurte à une Eglise indifférente à ses compétences, à sa vivacité d’esprit, à ses désirs sincères d’oblation dans la prière. Claire Maximova met sous une lumière crue la différence de traitement entre religieux et religieuses du même ordre, carmes et carmélites, qui révèle aussi la place accordée à la vocation des femmes par rapport aux hommes d’une manière générale dans l’Eglise. Une vocation de religieux susceptible de devenir prêtre sera toujours hautement considérée, louée et choyée. Pour preuve, l’agresseur de l’auteure a été réélu prieur carme alors que sa victime avait déjà dénoncé les abus. Quant à cette carmélite dont la vocation lui brûlait le cœur dès la jeunesse, elle n’a jamais vraiment été prise en considération, ni jugée comme précieuse pour l’Eglise, qui jettera l’opprobre sur elle plutôt que sur l’abuseur et ne fera rien pour la garder ni même la réconforter. On touche là à un problème de fond dans la perception qu’a l’Eglise catholique de la valeur des charismes des uns et des autres, disproportionnée quand on est homme et minorée quand on est femme. Le livre de Claire Maximova devrait réveiller les molles consciences qui aiment aduler les saintes du carmel une fois canonisées, tout en leur opposant la plus grande indifférence, voire ici le mépris, de leur vivant.
Un livre choc pour nous aider à sortir de nos préjugés mortifères.