La fête du Christ-Roi est une de mes fêtes liturgiques préférées, et cependant elle m’occasionne des tristesses : cette année en particulier où, pour cause de confinement, nous nous devons de la passer loin de notre paroisse et sans recevoir l’eucharistie, et aussi parce que je la trouve toujours mal comprise au cœur même de l’Eglise. Cette année liturgique A qui se termine étant en outre à mon goût celle qui nous donne, sur les trois années, les plus belles lectures en ce jour : Ézékiel (34, 11-12.15-17), Psaume 22 (23), 1 Corinthiens (15, 20-26.28) et Matthieu (25, 31-46).
Quelle richesse dans tous ces textes et la beauté du Psaume 22 !
Si je suis souvent contrariée en cette fête du Christ Roi, c’est que j’ai beaucoup de mal à adhérer aux homélies données à cette occasion, en particulier quand elles sont censées s’appuyer sur l’évangile de Matthieu 25, 31-46, comme aujourd’hui. Et la messe catholique étant ce qu’elle est, j’en suis réduite, comme femme et laïque, à écouter passivement les mots du célébrant sans être autorisée à donner mon avis. C’est donc ici, sur cet espace d’expression personnelle et libre qu’est mon blog, que je vais le faire.
J’ai lu ce matin sur les réseaux sociaux plusieurs prédications sur Matthieu 25, 31-46 à l’occasion de cette fête du Christ Roi. La posture qui m’horripile le plus est celle, intégriste, qui consiste à regretter le peu de pouvoir temporel de l’Eglise catholique romaine de nos jours. Ces catholiques-là idéalisent une Eglise conquérante et presque toute-puissante dans la société. Identitaires, ils placent leur propre appartenance religieuse au-dessus de toutes les autres et se servent du Christ Roi comme d’un monarque temporel qui serait autorisé à régenter toute vie en passant par les clercs et le magistère catholique. Mon Dieu, j’en frémis ! Je pense à ma grand-mère paternelle née au début du XXe siècle et à ses filles, mes tantes, qui n’étaient autorisées à lire que les livres tamponnés comme acceptables par leur curé. Insupportable ingérence moraliste dans la vie des fidèles et en particulier des femmes ! Un retour à ces pratiques obscurantistes est la dernière chose que je désire dans ma vie de foi !
“La vérité vous rendra libres” (Jean 8, 32), l’Esprit Saint, dans une âme adulte et éclairée, aussi. Et franchement, vu le spectacle désolant des scandales en tout genre que l’Eglise catholique a donné d’elle-même ces dernières années, lui octroyer davantage de pouvoir en ces temps où nous sommes est la dernière chose que l’on puisse désirer.
Je lis aussi un autre type de discours : la royauté du Christ ne serait pas à chercher ailleurs que sur sa croix. Il serait le “Très Bas”, le Dieu à nos pieds pour nous servir et ce faisant, nous sauver. Et là, je mets en garde aussi : on a tôt fait de se fabriquer un Dieu sans puissance, qui n’agirait plus sur la création, qui n’exaucerait même pas nos prières d’intercession car ce serait “faire de l’arbitraire” (j’ai lu cela tout récemment). Ce type de chrétien refuse de croire que Dieu fasse du “favoritisme” en exauçant telle prière plutôt que telle autre, en guérissant telle personne qui a prié ou pour qui on a prié plutôt que telle autre qui n’a rien demandé. A vue humaine, oui, ce “favoritisme” de Dieu peut choquer. Mais je dis bien à vue humaine ! Car il nous faut retourner aux Ecritures dans lesquelles, dès les origines, Dieu montre qu’il trouve des prières ou des offrandes plus ajustées à Lui que d’autres : il va préférer l’offrande d’Abel à celle de son frère Caïn, il va faire donner l’onction à David plutôt qu’à tous ses frères aînés, il va choisir Marie entre toutes les femmes pour faire naître son propre Fils qui à son tour, lui-même, posera des choix et aura des préférences amicales : ses douze disciples, Marie de Magdala, Marie de Béthanie dont il prendra toujours la défense face à sa sœur ou à Judas… Il est donc très réducteur de vouloir croire, par un curieux égalitarisme, que Dieu n’honore pas telle demande plutôt que telle autre. Cela participe de son mystère et de son infinie souveraineté.
Dire aussi de manière obsessionnelle que Dieu est le “Très Bas”, c’est supposer qu’il n’agit plus sur sa création désormais. Je sais que cette vision des choses s’initie dans notre incompréhension de la Shoah. “Où était Dieu ?” peut-on se demander, à vue humaine toujours, avec légitimité. C’est aussi oublier que ce sont des hommes avides de pouvoir et orgueilleux qui ont organisé la Shoah. Que cette chute dans le mal absolu est le fait de l’homme pécheur pour lequel et par lequel le Christ a été mis en croix. Et d’ailleurs, dire que dans le Christ, Dieu a dit son dernier mot et n’a plus rien de neuf à nous dire comme le prétend le Catéchisme de l’Eglise catholique aux articles 65 et 66, c’est aussi enfermer Dieu et même le Christ dans le temps de son Incarnation qui n’est pas non plus le plein accomplissement des promesses divines. Dieu a encore bien des choses à dire et à faire ! Et dans son temps à Lui, qui n’est pas le temps des hommes et du monde. Et ainsi, si le Seigneur désire accomplir la prophétie d’Ezékiel (chapitre 37 sur les ossements) pour son peuple élu, il le fait et il le fera encore, quitte à laisser marris les chrétiens qui se croient trop souvent seuls héritiers de la résurrection ! S’il plaît au Seigneur de justifier profondément son peuple élu depuis Abraham, il est libre de le faire quand il veut et comme il veut ! Ne soyons pas trop orgueilleux, nous chrétiens, en nous croyant seuls détenteurs de la vérité de la Révélation divine !
Je crois même, et fortement, contrairement à ce qu’on enseigne de nos jours aux enfants pour les rassurer sur Dieu, qu’Il est libre d’agir comme Il l’entend sur les éléments, libre de les calmer ou de les déchaîner, comme le fit lui-même Jésus sur la mer de Galilée. “Oh, va-t-on me rétorquer, ce ne sont là que des images dans l’Evangile !” Voire.
Enfin, et c’est là le cœur et l’espérance la plus ardente de ma foi, je crois profondément que l’évangile d’aujourd’hui va pleinement s’accomplir, et bientôt même : oui, le Christ Jésus revient en un second avènement pour le jugement des vivants et des morts, chacun étant jugé de l’intérieur de lui-même selon les critères énoncés en Matthieu 25, 31-46. Et pour cet avènement-là, Jésus ne vient pas dans l’humilité d’une crèche ou d’une hostie, mais bien revêtu de toute sa gloire de Roi de l’Univers. Et les boucs orgueilleux pourront bien lui dénier sa Royauté éternelle, cela n’empêchera pas le Seigneur de rassembler ses brebis qui ont nourri, désaltéré, soigné, habillé, accueilli, visité leur prochain, pour les mener vers son Royaume éternel où il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur (Apocalypse 21, 4).
Ce Royaume qui n’est pas de ce monde, je l’espère et je l’attends. Vraiment. Pour la consolation des affligé(e)s et pour adorer éternellement le Christ notre Roi.