J’ai un certain nombre de ces amitiés que d’aucuns qualifieraient de “virtuelles” mais qui ne le sont pas. Amitiés nées au détour de forums ou de blogs où leurs écrits ont croisé les miens.
Certaines de ces relations ont entraîné par la suite des rencontres de visu et des amitiés qui demeurent très vives, d’autres sont restées à ce jour du domaine de l’échange écrit, public et privé. J’aime écrire, et quand je rencontre l’équivalent face à moi, dans l’affinité spirituelle, de longs échanges épistolaires ou par mail deviennent possibles.
C’est ainsi que j’ai fait une rencontre merveilleuse il y a presque dix ans. J’avais rédigé un post assez polémique qui s’intitulait “La religion catholique verrouillée” pour le forum “Croire.com” de Bayard qui n’existe plus. J’y dénonçais la crispation de l’Eglise catholique sur ses doctrines, sur des paroles de saints canonisés hissées à la hauteur de vérités incontestables, la vision fantasmée par l’Eglise de l’idéal féminin : mère demeurée vierge et surtout très silencieuse et bien soumise aux diktats ecclésiaux ! Une discussion assez houleuse s’en était suivie, mais j’étais fort habituée déjà à être durement contestée par mes coreligionnaires sur le net.
Quelle ne fut pas ma surprise alors de retrouver ce billet partagé sur le blog d’un prêtre octogénaire du diocèse d’Orléans, le père Gabriel Jeuge ! Nous ne nous connaissions aucunement, et j’avoue que je fus touchée de ce partage d’un billet fort polémique par un prêtre blogueur qui n’avait rien d’un contestataire au cœur d’une Eglise à laquelle il demeurait, dans sa retraite en Ehpad à Orléans, absolument fidèle. Bien sûr, je lui écrivis, et s’en est suivie une très longue correspondance que nous avons nourrie l’un et l’autre d’une amitié toujours plus profonde. Sur l’un de ses blogs dont il n’y a aujourd’hui plus de traces sur le net, il avait entrepris de copier en plusieurs étapes mon “Histoire d’une foi”, ce qui m’avait aussi beaucoup touchée. Son dernier blog est encore consultable, muet depuis 2013, il s’appelle “Papygab”, un pseudo que le Père Gabriel affectionnait.
Au fil de nos échanges réguliers par mail, il m’avait fait quelques confidences, par exemple la douleur d’avoir perdu, très jeune, son unique frère. De ce fait, il n’avait pratiquement aucune famille et vieillissait assez seul dans une maison de retraite où se trouvaient d’autres prêtres “mais dans quel état !” m’écrivait-il, désabusé. Cependant, Père Gabriel ne se plaignait pas, ce n’était pas son genre. Il s’intéressait aux joies et tristesses de ma grande famille dont il finissait par faire partie. Il portait avec ferveur mes intentions de prière et je priais beaucoup pour lui, à sa demande et par vive affection. Ses facultés diminuaient inexorablement, et au fil des années, je ne cessais d’augmenter la taille de la police pour qu’il puisse encore lire mes mails. En octobre, il m’envoyait un message de condoléances fort touchant pour le décès de mon papa. Puis une très belle carte imprimée à Noël, il ne devait plus parvenir à écrire à la main, à maintenant 92 ans.
Mes vœux de Nouvel An demeurèrent sans réponse, de même que mes derniers mails. Comme je le faisais toujours à chacun de mes déplacements, je lui ai encore envoyé une carte postale tout récemment, me faisant avec tristesse la réflexion que j’envoyais de moins en moins de cartes, mes correspondants seuls et âgés, mes destinataires privilégiés, s’éteignant les uns après les autres.
Ce n’était pas dans les habitudes de Père Gabriel de ne point remercier. Alors hier soir, dans le doute, j’ai tapé son nom sur un moteur de recherche, et j’ai pris en plein cœur son avis de décès, en date du 14 janvier 2021. Mon ami était parti, sur la pointe de pieds, tandis que de mon côté, j’étais plongée chez moi trois jours dans le noir en raison d’une longue panne d’électricité. Trois jours d’obscurité, et mon ami le prêtre, bon, fidèle et humble serviteur de l’Evangile, entrait dans la lumière…
Demeurez désormais dans une paix profonde et une joie durable, cher Père Gabriel !
Quant à moi, j’ai perdu un interlocuteur, mais j’ai gagné un intercesseur.
https://www.orleans.catholique.fr/actualite/toutes-les-actus/8883-deces-du-pere-gabriel-jeuge