Aujourd’hui, c’est le dimanche de la Divine Miséricorde. Nous n’aurons jamais fini d’épuiser les grâces que peut nous offrir la bonté de Dieu dans la contrition pour nos errements et la confession de nos fautes pesantes dans le sacrement de la Réconciliation. J’en ai tant de fois éprouvé la grâce purifiante et libératrice que je ne peux que recommander à mes frères et sœurs chrétiens de ne pas négliger les examens de conscience personnels, et, quand notre péché devient entrave à notre quotidien et à notre progrès spirituel, entreprendre un effort de réconciliation avec la personne avec laquelle nous sommes demeurés en différend, tout comme avec nous-mêmes et avec Dieu si nous l’avons, d’une manière ou d’une autre, offensé. Entrer en confession le cœur lourd et avec des envies de fuite n’est que le début pénible d’une régénération de tout notre être. Et quant à l’impopulaire “pénitence”, elle devrait toujours consister à chercher à s’amender auprès du prochain lésé par nos torts. Peut-être cette journée est-elle l’occasion de réfléchir à une offense ancienne ou récente et non solutionnée.
Cependant, en ce jour où je suis dans la joie durable de Pâques, le cœur libre de scrupules et d’acrimonie, remontent en moi des paroles données par des confesseurs variés que je suis en mesure de considérer, avec des années de recul, comme des petits poisons qui m’ont été distillés alors que je me trouvais en posture d’humble confiance. Quoi de plus inconfortable en effet que de faire la confidence de son âme à une personne quasi inconnue, dont on attend avant toute chose qu’elle nous délivre une parole éclairante de la part du Seigneur par l’intermédiaire du ministre censé se faire sa voix pour nous. Le pénitent n’est jamais en position de force, et si j’écris ces lignes, c’est aussi à l’adresse de confesseurs susceptibles de les lire : que ceux-ci ne se permettent jamais de prendre l’ascendant sur une âme pour tenter de la soumettre à leurs vues personnelles.
Ainsi, habitée par la magnifique homélie que notre curé nous a donnée ce matin, nous encourageant fortement à témoigner que la foi chrétienne est une affaire de rencontre personnelle avec le Christ et à contrer avec conviction les affirmations de baptisés qui délaissent tout pour avoir été incommodés par une parole ou un acte de telle personne ou de tel prêtre, je peux témoigner aujourd’hui qu’abattue un moment par des petites phrases assassines reçues en guise de conseil spirituel il y a quelques années, je n’ai jamais pour autant abdiqué ma foi ni même ma pratique en Eglise catholique.
Pourtant, à bien y réfléchir, j’aurais pu baisser les bras complètement quand un confesseur pour lequel j’avais parcouru plus de cent kilomètres car il m’avait été vivement conseillé comme ayant un discernement hors normes, me sortit tout de go après m’avoir écoutée : “Soyez sûre d’au moins une chose : vous n’avez aucune mission.”
Heurtée en silence, j’ai médité longtemps cette appréciation : comment un prêtre peut-il dire à une baptisée pratiquante qui fait de sa foi le moteur de sa vie qu’elle n’a aucune mission ? Baptisée, ne suis-je pas ardemment appelée à témoigner de ma foi en Jésus-Christ Fils de Dieu, à affirmer encore et encore que je crois viscéralement en sa résurrection car c’est bien Lui qui me guide, vivant, jour après jour ? Et si ma paroisse m’appelle cette année à une charge qu’elle envisage déjà de me confier, vais-je lui rétorquer : “Désolée, mais je n’ai aucune mission” ?
Ce confesseur n’en resta pas à une seule phrase inadaptée : selon lui, je devais aussi considérer que mon mariage civil n’avait jamais fait du seul homme – non divorcé je précise – avec qui j’aie partagé un toit et eu trois enfants en quinze années de vie commune “mon mari”, et qu’il n’avait jamais été un mari mais seulement le père de mes enfants. En outre, que je l’aimais sans doute mieux à présent que je n’attendais plus rien de lui !
Heureusement, j’ai suffisamment de proximité avec le Seigneur pour savoir que ce n’est pas Lui qui a inspiré de telles paroles au prêtre à mon intention. Qu’il faut donc être délicat et détaché de soi-même pour prétendre guider des âmes ! Je suis dans la perplexité quand je pense que ce prêtre-là officie aujourd’hui essentiellement comme… directeur spirituel !
Je me souviens aussi d’un autre conseil du même acabit : envoyée une fois de plus vers un confesseur inconnu de moi, je l’entendis me conseiller de publier “Histoire d’une foi” dans le quotidien régional. Mon site n’existait pas encore, j’espérais un éditeur, et autant dire que j’ai flairé là le désir d’envoyer aux oubliettes mon manuscrit qui m’a pourtant, par la suite, valu tant de partages inestimables et ce sur un plan international…
Et enfin, ce même prêtre – paix à son âme – me dit aussi quant à tout ce qui bouillonnait déjà en moi en matière de rébellion contre certaines doctrines et pratiques de l’institution ecclésiale, que je devais demeurer silencieuse comme un santon de la crèche qu’il me désignait. “Regardez Marie et Joseph, il ne disent pas un mot, faites-en de même.”
Avec dix années de recul, j’aimerais lui répliquer :
« Je vous le dis : si eux se taisent, les pierres crieront. » Luc 19, 40
Si donc passe par ici un prêtre amené à être confesseur, en ce dimanche de la Miséricorde, qu’il prenne le temps de remettre en question son inclination peut-être trop prononcée à délivrer une parole personnelle ou par trop ecclésialement convenue quand son pénitent attend avant toute chose de trouver en lui le reflet du Dieu bon et infiniment juste auquel il croit.