La parabole de Jésus en Luc 15, 1-17 ou Matthieu 18, 12-14, dans laquelle un berger recherche sa brebis perdue en laissant seules les quatre-vingt-dix-neuf autres n’est pas dans la liturgie de ce dimanche, par contre l’extrait de Jérémie 23, 1-6 sur les brebis malmenées par leurs pasteurs peut y conduire.
Je constate que nos prédicateurs catholiques préfèrent aujourd’hui évoquer la mission (évangile en Marc 6, 30-34) en se décernant un éventuel satisfecit pour leur zèle au cours de l’année pastorale écoulée et en évoquant le repos mérité des vacances, plutôt que de commenter la première lecture de Jérémie qui n’est pas particulièrement valorisante pour les gardiens du troupeau – peuple de Dieu ou Eglise. Eternelle illusion d’évoquer exclusivement les anciens prêtres du judaïsme dans la lecture du Premier Testament, soit-disant discrédités une fois pour toutes au profit des prêtres et pasteurs du christianisme. C’est méconnaître qu’une prophétie divine est intemporelle.
La parabole de Jésus sur la brebis égarée n’a plus beaucoup de sens de nos jours dans ses proportions. Car c’est bien une brebis sur les cent qui fréquente encore une église, et les quatre-vingt-dix-neuf autres qui se tiennent à ses marges, faute de baptême, ou de foi, ou d’envie ou de sentiment d’être accueillies dans une institution qui s’est fait un devoir d’exclure des sacrements qui n’est pas dans les clous du catéchisme.
Nos pasteurs d’aujourd’hui se revendiquent oints de l’Esprit Saint. Ils l’ont été ou ils le sont, c’est vrai. Mais comment cette onction profite-t-elle aux quatre-vingt-dix-neuf brebis du dehors ? Souvent, ils se plaignent : églises et temples se vident, la faute selon eux au sécularisme, au consumérisme, à l’individualisme, à nos sociétés du loisir et du plaisir immédiat, quand ce n’est pas la faute au Covid et au masque à porter pendant les cultes et les messes.
Je trouve ces raccourcis un peu faciles. Ils n’ont pour seul mérite que de rassurer prêtres et pasteurs sur leur absence de responsabilité dans la crise de désaffection des églises et autres lieux de culte.
L’extrait de Jérémie fort percutant du jour est pourtant sans concession :
Quel malheur pour vous, pasteurs !
Vous laissez périr et vous dispersez
les brebis de mon pâturage
– oracle du Seigneur !
C’est pourquoi, ainsi parle le Seigneur, le Dieu d’Israël,
contre les pasteurs qui conduisent mon peuple :
Vous avez dispersé mes brebis, vous les avez chassées,
et vous ne vous êtes pas occupés d’elles.
Eh bien ! Je vais m’occuper de vous,
à cause de la malice de vos actes
– oracle du Seigneur.
Jérémie 23, 1-2
Entre les règles canoniques catholiques qui excluent nombre de baptisés des sacrements de réconciliation et d’eucharistie, les craintes légitimes des parents de jeunes enfants qui ne sont pas ignorants des scandales de pédophilie et de l’omerta qui les a entourés pendant tant de décennies voire de siècles, les souvenirs cuisants de nombreux baptisés malmenés dans l’enseignement catholique naguère, les contre-témoignages évangéliques de clercs corrompus dans les finances ou les mœurs et encore cette manière figée de célébrer la messe qui interdit de parole les fidèles même férus d’Ecritures, les raisons de ne pas pénétrer dans une église ou de ne pas y envoyer ses enfants le dimanche matin sont nombreuses, compréhensibles, et pas seulement le fait de l’indifférence ou de l’hédonisme ambiant.
Pour ma part, je suis une pratiquante fidèle, mais aussi désenchantée. Si mon amour pour le Christ, notre Pasteur suprême, est intact, je souffre aussi à la messe que nous y soyons si peu nombreux, si grisonnants, si souvent sollicités pour les services paroissiaux faute de relève.
Et je ne puis m’empêcher de songer aux quatre-vingt-dix neuf brebis de l’extérieur, qui ne connaissent ni ne comprennent la tendresse de Dieu, sa sollicitude à leur égard et son propre courroux contre trop d’indignes pasteurs qui ont fait fuir loin de la bergerie l’immense majorité du troupeau.