Il faudrait commencer par une définition de l’intellect, et il en existe beaucoup. Celle qui me convient le mieux est la suivante :
,,L’intelligence en tant qu’elle élabore des données, juge, discerne, conclut, et construit la science“ (Goblot 1920).
J’ai tendance à lui opposer l’esprit, celui qui sourd de l’Esprit avec un E majuscule. L’esprit comme intelligence qui ne provient pas seulement de ses propres neurones mais aussi de son expérience de vie et surtout du Vivant, de l’intelligence absolument supérieure de Dieu, principe créateur et fin de tout. L’esprit ne se contente pas des potentialités de l’intellect. Il va plus loin. Il relie le raisonnement purement intellectuel à la vie, à la Création, au beau, au bien, au vrai.
Me voici prise en étau. Confrontée à une personne à l’intellect puissant. Un intellect qui lui inspire, par sa rigueur et son haut potentiel, une croyance en sa supériorité incontestable sur autrui. Un intellect qui le conduit à un orgueil absolu et à l’illusion d’entrevoir, en toute situation, la vérité. Un intellect qui lui dicte des comportements de dédain et de domination sur ses proches. Un intellect qui a séduit une âme belle et vulnérable en quête de proximité affective et d’absolu.
Jeune, à la vingtaine, j’ai déjà été confrontée à ce type de personnalité. Il s’agissait du petit copain de ma meilleure amie. Que de débats houleux et de dialogues de sourds dont je ressortais souvent humiliée et désorientée dans mes valeurs alors en quête de consolidation. Il avait eu le don de me déstabiliser sur tous les plans, et je dois à ses boutades narquoises sur ma candeur d’alors quelques-unes des déconvenues les plus cuisantes de ma jeunesse. Je n’avais pas alors les armes pour lutter contre les flèches de son intellect puissant et brillant. Trop de rhétorique venait à bout de mes convictions chancelantes à l’entrée dans l’âge adulte. Il était en outre affilié à un parti politique pour le candidat duquel je n’aurais jamais voté, mais le doute s’était insinué dans mon esprit jusque là tranquillement formaté aux valeurs de la gauche des années 80. Ce fut un tsunami intellectuel et moral pour moi qui, par la force des choses, le côtoyais beaucoup.
Cela fait longtemps maintenant. J’ai de loin en loin des nouvelles de cet homme. En fin de cinquantaine, je le constate aigri sur tous les plans. Sa carrière n’a pas été brillante comme il l’aurait voulu, et il totalise au moins trois échecs de couple.
Cette fois c’est différent. Je suis confrontée à un homme à l’intellect encore plus puissant, et qui possède les armes pour me nuire dans ce que j’ai de plus cher, à savoir mes enfants. Moi je ne suis plus trop vulnérable à l’âge, l’expérience et la profondeur de foi que j’ai atteints. Je sais désormais qui je suis et en quoi je crois. Je sais mon origine et mon devenir. Je sais que mes valeurs sont justes et généreuses, ancrées dans l’Evangile et nourries du souffle de l’Esprit, consolidées également par une assez bonne connaissance des détours de l’âme humaine. Je n’ai plus besoin de mesurer à autrui mon quotient intellectuel pour savoir si je suis pertinente dans mes opinions ou mes prises de position. Mes doutes sur le monde qui m’entoure trouvent écho et réponse dans ma prière. C’est en Dieu, et en Dieu seul, que j’ai trouvé mon équilibre et ma ligne de conduite. Et les amis vrais qui me sont donnés savent me secourir quand je suis confrontée encore et encore à l’épreuve de l’iniquité.
Alors je lutte, dans la nuit de l’incertitude du lendemain, comme Jacob contre son adversaire, mais en sachant d’emblée que cet adversaire n’est pas, quant à lui, l’envoyé du Bien et du Vrai. Cet adversaire-là tente de me conduire à un nouvel effondrement psychique, à une remise en question de ce qu’il y a de plus véridique et d’inconditionnel en moi : la présence de l’Esprit et l’amour maternel patiemment prodigué depuis plus de trente ans, et ce dans un même élan, car ils procèdent du même Souffle de vie. Cet adversaire-là a pour lui toutes les forces et séductions de l’intellect, et on pourrait sombrer dans ses filets. Pas moi. Lutter contre le mensonge et le travestissement de la vérité. Lutter contre le faux amour, celui qui se contemple soi-même au lieu de contempler l’autre. Celui qui se complaît dans son reflet au lieu de rechercher celui de l’Autre.
Adversaire, diviseur de famille, séducteur d’âme belle et valorisante à ses côtés.
Ne pas céder à ses sirènes de chantage.
Rester moi-même, dans mon identité durement acquise au fil des ans.
Résister aux insupportables pressions.
Lâcher du lest, donner de l’espace au Souffle, demeurer dans l’Esprit.
Attendre patiemment qu’elle me revienne.
Patiemment.
Image : La lutte de Jacob avec l’Ange Eugène Delacroix XIXe