Il n’est pas inutile, avant d’aborder ce sujet, de rappeler le Décalogue, les dix Paroles de Dieu à Moïse sur l’Horeb, dont voici les premières :
« Je suis le Seigneur ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison d’esclavage.
Tu n’auras pas d’autres dieux en face de moi.
Tu ne feras aucune idole, aucune image de ce qui est là-haut dans les cieux, ou en bas sur la terre, ou dans les eaux par-dessous la terre.
Tu ne te prosterneras pas devant ces dieux, pour leur rendre un culte. Car moi, le Seigneur ton Dieu, je suis un Dieu jaloux.”
Exode 20, 2-5 ©AELF
Nous le savons, les dix commandements sont assez vertigineux et exigeants, et s’ils avaient été observés depuis tout ce temps, le monde n’aurait pas été et ne serait pas à feu et à sang comme c’est encore le cas. L’homme étant ce qu’il est, toutes ces prescriptions intemporelles ont toujours été détournées, contournées, et pire, instrumentalisées pour dominer, contraindre voire manipuler autrui. Eternel dilemme de l’homme rebelle face à la volonté divine sur lui, même quand il prétend la connaître et l’enseigner.
Or, dès les deuxième commandement, le Seigneur insistait sur la question des images et des idoles. Dans un monde idolâtre, les Hébreux devaient se démarquer comme un peuple vénérant le seul vrai Dieu, celui d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, un Dieu de Parole et de relation. Et ne pas chercher à le représenter, ni surtout à lui substituer des idoles tirées du monde mythologique, ou animal, ou encore végétal comme cela pouvait être le cas en ces temps.
Cela peut nous sembler désuet de nos jours, dans un monde où l’image est omniprésente, et pas seulement fixe mais encore animée voire en trois dimensions, le progrès technologique galopant ne trouvant plus de limites. D’un monde biblique où l’image était censée être proscrite, nous sommes passés en quelques dizaines de siècles à une société où elle règne absolument partout.
J’avoue que cela m’interroge du point de vue de la foi. Toute cette génération de baptisés, si tant est qu’elle a reçu une éducation chrétienne, a eu un jour ou l’autre entre les mains une Bible illustrée, les Evangiles ou encore des pages d’histoire sainte en bandes dessinées. Enfants, nous en étions friands. Nous aurions eu bien du mal à approcher les Ecritures sans support d’images, un peu comme nous faisaient fuir alors les romans sans aucune illustration.
Mais arrivés à l’âge adulte, sommes nous libérés de ces images qui ont imprégné nos esprits et ont très certainement influencé notre manière de croire ? Et que dire de tous les dessins animés ou films bibliques que nous avons pu voir ? Qui, abordant la Genèse, n’a pas à l’esprit une image d’Eve tendant une pomme à Adam avec un vilain serpent louvoyant à côté d’elle – ce qui n’a sans doute rien à voir avec la symbolique de la relation homme-femme sous le regard de Dieu qu’elle veut aborder, et qui est tellement mal interprétée en raison de ces images prégnantes ? Qui, s’imaginant Jésus enfant, n’a pas immédiatement à l’esprit une image sulpicienne de la sainte famille Jésus-Marie-Joseph qui exclut de facto de probables frères et sœurs nés après lui ? Qui, songeant à Marie-Madeleine que j’évoquais hier dans une méditation biblique, n’est pas prisonnier d’une représentation picturale ou cinématographique d’une femme plutôt provocante, à l’interminable chevelure, éplorée aux pieds de Jésus en signe de repentance de lourds péchés ? Comment dépasser ensuite de telles représentations pour admettre que Marie de Magdala n’est pas la prostituée repentie décrite en Luc 7, 36-50 ? Et que dire de tant de films qui mettent en scène la même actrice pour représenter Marie de Magdala et Marie de Béthanie, provoquant durablement la confusion dans les esprits ?
Face aux images, on est passif. Et elles nous marquent pour longtemps. Ce qui est fort dommageable à l’intégrité de la foi. Il faut un certain degré d’intérêt pour sa tradition religieuse pour en revenir aux Ecritures et à elles seules, et les baptisés sont loin d’entamer tous cette démarche salutaire. Alors, entre BD, films, statues et fresques dans les églises, peintures dans nos musées et monuments religieux un peu partout, nous sommes à la fois sollicités à revenir à la source de notre baptême, ce qui est une bonne chose, mais aussi conditionnés à croire comme des générations parfois peu au fait de la réalité des Ecritures, avec tous les risques d’erreurs théologiques que cela comporte. Et je me dis parfois que Dieu ne nous a pas donné le deuxième commandement en vain. J’apprécie infiniment, personnellement, l’art religieux, mais je déplore les fausses représentations qu’il peut induire. Faisons donc preuve de discernement et revenons-en toujours aux Ecritures pour trancher les points de dilemme.
Image : La conversion de Marie-Madeleine XVIe Jacopo Robusti Tintoretto