C’est un fait qui me frappe depuis très longtemps : à force de cultiver l’entre-soi, les hommes d’Eglise ont tendance à s’exonérer les uns les autres des fautes qu’ils commettent. Non seulement ils ont le pouvoir de donner l’absolution au nom de Dieu par leur ministère, mais encore, à force d’évoluer entre hommes et d’avoir été formés au séminaire et en congrégations aux générations précédentes à avoir peur des femmes et à les fuir, ils ne comprennent vraiment que le fonctionnement mâle et sont étrangers au psychisme féminin. Là où leurs vœux de chasteté exigeaient qu’ils se gardent de tomber amoureux d’une femme ou simplement de penser à elle avec désir, ils ont préféré les affubler de toutes sortes de travers moraux pour mieux se garder d’elles. Pendant des siècles, et ce n’est pas fini, les femmes allaient être considérées comme des tentatrices fauteuses de chutes, voire comme des pécheresses invétérées dont il n’y avait pas grand chose de bon à attendre.
Nous autres femmes en payons encore le prix fort en Eglise, et le discours ecclésial officiel n’a pas cessé, jusqu’à Jean-Paul II, de stigmatiser comme le pire de ce qui pouvait se faire des questions touchant au corps des femmes, que ce soit le recours à la contraception ou l’avortement, régulièrement brandi comme le meurtre le plus abominable qui soit.
Parallèlement, dans le même temps, les mêmes responsables de la même Eglise passaient sous silence, absolvaient, minimisaient tout ce qui nous saute à la figure depuis dix jours en matière de violences sexuelles perpétrées sur des mineurs et des personnes en situation d’obéissance voire de soumission – comme des religieuses – par des prêtres et religieux.
Ce scandale absolu révèle bien un jugement à deux vitesses quant au bien et au mal. On s’en souvient, il y a quelques années, un certain cardinal avait déclaré : “Le viol est moins grave que l’avortement”. Il n’était sans doute pas isolé au Vatican et ailleurs dans cette pensée. Pour preuve, la mansuétude dont ont bénéficié les violeurs ecclésiaux pendant des décennies voire des siècles, écoutés, excusés, déplacés, continuant à célébrer les sacrements en toute impunité, tandis que leurs victimes s’enfonçaient pour toujours dans une détresse de chaque instant dont la CIASE a fait enfin remonter au grand jour les témoignages accablants.
Je pense que cet état de fait ne concerne pas que les crimes, mais révèle une tendance de fond des hommes à être magnanimes pour leurs semblables coupables de fautes et de péchés, mais bien plus intransigeants envers les femmes qui avouent telle ou telle faiblesse. Cette solidarité de genre est peut-être profondément humaine et concerne aussi les femmes. Mais en l’occurrence, en Eglise, elle a des conséquences bien plus néfastes puisque les clercs sont exclusivement masculins. Et à force d’évoluer entre eux, ils ne prennent même pas conscience que leurs propres péchés d’hommes sont souvent beaucoup plus porteurs de conséquences graves que ceux de leurs vis-à-vis féminines. Au besoin, on va évoquer le mal masculin comme s’il procédait d’une force extérieure qui aurait saisi l’homme coupable, ce qui est encore le disculper. Alors que le Christ Jésus a été tout à fait clair à ce sujet :
« Ce qui sort de l’homme, c’est cela qui le rend impur. Car c’est du dedans, du cœur de l’homme, que sortent les pensées perverses : inconduites, vols, meurtres, adultères, cupidités, méchancetés, fraude, débauche, envie, diffamation, orgueil et démesure.
Tout ce mal vient du dedans, et rend l’homme impur. »
Marc 7, 20-23
On va encore me répliquer que les femmes commettent ces fautes autant que les hommes. Voire. Pourquoi y a-t-il entre 88 et 98 % d’hommes dans les prisons du monde entier ? Le délit et le crime seraient donc sans rapport avec le péché ? (Voir les chiffres ci-dessous)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_pays_par_population_carc%C3%A9rale
En conclusion, je dirais donc qu’il est très grand temps de sortir d’une vision masculine de la gravité d’une faute, et qu’au lieu de confondre la miséricorde de Dieu avec la mansuétude pour les travers et péchés de ses semblables, le temps de la réforme ecclésiale suppose aussi qu’on retrouve une juste échelle de la gravité dans les péchés des uns et des autres. Et je prends le pari que cette fois, les femmes cesseront d’être stigmatisées comme d’éternelles pécheresses.
Je termine sur un témoignage de victime recensé par la CIASE
(“De victime à témoin”, page 70 ) :
Deux poids, deux mesures
Il y a environ deux ans, j’ai rencontré un prêtre à qui j’ai parlé
de l’abus dont j’avais été victime dans mon enfance. Il m’a
écoutée. Ensuite, j’ai voulu me confesser. Sa question, alors
m’a profondément meurtrie : « Est-ce que vous vivez seule ? »
(Il savait que j’étais divorcée.) Je venais de lui confier mon
malheur par la faute gravissime d’un prêtre à mon égard et lui,
il conditionnait son accord pour que je reçoive le sacrement
de réconciliation au fait que je respecte le règlement de l’Église,
à savoir que je ne vive pas avec un homme. Honnête et docile,
j’ai répondu que je vivais seule et il m’a confessée, mais quand
je suis partie, je me sentais vraiment très mal… Le curé ***
décédé (depuis longtemps) m’a fait un mal immense. A-t-il été
puni, lui ? Lui a-t-on refusé la communion ou la confession ?
Moi, en quoi ferais-je du tort à quelqu’un si je vivais de nouveau
avec un homme ? Peut-être serait-ce pour moi un grand bien
ainsi que pour ma fille qui se désole de me savoir toujours
seule ? Qui sait ? En tous les cas, sûrement pas ce confesseur
(lui ou un autre) ! Cette position de l’Église est insupportable !
Merci de passer le message !
Image : Apôtres, Musée Unterlinden de Colmar