Depuis des années, le couple que je formais avec le père de mes trois enfants partait à la dérive. C’était une souffrance sans fond. Nos conflits, son indifférence, ses menaces récurrentes de me quitter “en emmenant les enfants”, son absence de gratitude pour tous les petits services rendus au quotidien, l’ingérence de sa mère dans notre vie familiale, mon instabilité psychique… Tous les ingrédients d’une séparation étaient en germe.
Des amis paroissiens devinaient ce fiasco, et nous conseillèrent de nous inscrire à une session pour couples “Cana” avec la communauté du Chemin Neuf dans laquelle ils étaient engagés. C’était un peu la démarche de la dernière chance pour nous.
Nous voilà donc, à l’été 2004, à l’abbaye de Hautecombe en Savoie, nos enfants répartis dans des camps du mouvement animés par des bénévoles. Semaine intense, belle et aussi éprouvante. Nous nous retrouvions en petits groupes de couples tous venus là pour tenter de puiser à nouveau un peu du bon vin de leurs noces.
Temps de prière de toute beauté, méditations sur les Ecritures, analyses de nos fonctionnements de couple par questions / réponses croisées entre conjoints dans nos cahiers respectifs, espaces de silence et d’oraison, repas et vaisselle en commun dans une joyeuse ambiance, mais aussi fatigue intense du fait du programme chargé laissant peu de place au sommeil. Un temps pour une demande de pardon en fin de semaine, le verdict de l’échange des cahiers respectifs qui pouvait faire très mal, l’attente fébrile de nos enfants dont nous n’avions pas l’habitude d’être séparés…
La semaine allait crescendo. Tout semblait possible en matière de réconciliation, même si des griefs, souvenirs, ressentis échangés étaient profondément déstabilisants.
Mais il n’y avait pas que la vie de couple au cours de cette semaine. Il y avait aussi la vie de foi, qui atteignit là pour moi un summum. Je sortais de trois ans de prière plutôt sèche, j’avais émergé pas longtemps avant d’une dépression ravageuse avec son lot de déréliction spirituelle. Ma foi était toujours aussi vive, mais le Seigneur se cachait de moi.
Or, une nuit, au cours de cette session, le sommeil me fut refusé, oh non pas pour des pensées mortifères, bien au contraire : le Seigneur revint dans ma nuit mystique en grande force et débordement d’amour lumineux. Qu’étais-je venue chercher ici, à Cana ? Un nouveau souffle pour mon couple. Qu’est-ce qui me fut donné ? L’abondance du vin des noces spirituelles, le Bien-Aimé dans sa candeur et sa puissance bienfaisante, Celui que mon cœur avait toujours aimé et qui me revenait enfin, après toute cette détresse profonde et ces années de lutte dans le désert pour continuer à vivre ma foi malgré l’aridité de ma prière.
Le lendemain, je me sentis comme transfigurée. Tout me semblait envisageable désormais, la reconstruction de mon couple et aussi autre chose, que j’allai chercher dans une longue méditation à la chapelle, sous le patronage d’Edith Stein dont c’était bientôt la fête, une sainte que j’aime infiniment. Il y avait là une autre femme, derrière moi, qui me dit quand nous sortîmes qu’elle avait prié pour moi. Et de fait, mon avenir me semblait soudain très clair. L’Esprit m’avait soufflé qu’après les longues années qui nous restaient à élever nos enfants ensemble, soit une quinzaine environ, dans une harmonie possiblement retrouvée, le fait que nous ne nous soyons jamais mariés religieusement – ce dont je souffrais à cette époque-là – prendrait sens : nous retrouverions chacun notre liberté, et la mienne aboutirait à une consécration au Seigneur de mon cœur dans des vœux de chasteté définitifs.
Ce chemin de vie me semblait limpide au sortir de la chapelle où j’avais passé un très long moment en prière. J’en fis part à mon mari, je lui racontai aussi la beauté de ma nuit mystique la veille.
A Cana, tout fut mis en œuvre pour rendre inoubliable la fin de la session : farandole des époux avec passage de chaque couple sous une haie d’honneur dans une très grande joie, bonheur de retrouver nos enfants apparaissant au loin dans un lâcher de ballons multicolores et accourant dans nos bras. Notre bonheur semblait parfait.
Au retour, je fis part à notre curé de mon optimisme et de ma joie de ce nouveau départ prometteur.
Mais dans un couple, on est deux. Et on ne se comprend pas toujours, surtout en ce qui concerne les profondeurs de l’esprit.
Mon mari ne voyait pas les choses comme moi. Il était parti dans des ruminations. Il avait entendu expérience mystique, et il pensait délire. Il avait entendu vœux de chasteté, et, bien que je lui aie dit dans quinze ans, en lui rendant sa liberté, il en était blessé et inquiet pour lui-même. Pourtant, nos partages à Cana avaient bien mis en lumière que nos divergences profondes ne nous permettraient pas de vieillir ensemble. Cela tenait de l’évidence. Comme cela tenait de l’évidence pour moi que nous nous devions d’élever nos enfants ensemble, dans la vie commune.
Dès notre retour au foyer, il se mit à me harceler violemment. Il ne voyait dans ce profond cheminement spirituel que délire et rechute de mes combats intérieurs violents des années précédentes. Là où je voulais demeurer dans la paix et la sérénité, nous retombâmes dans l’affrontement psychologique extrême.
La suite, certains la connaissent déjà. Il me tendit un guet-apens et me fit interner en psychiatrie.
Et un mois après ma sortie de l’hôpital, il me quittait, me laissant seule avec les trois enfants.
Dix-huit ans ont passé, ces années que je pensais vivre encore avec lui dans l’intérêt de nos enfants. En fait, sa liberté, il l’a reprise trois mois après notre session Cana. Sans pour autant jamais délaisser nos enfants, je le précise, c’est à son honneur.
Je n’ai pas, je n’ai plus d’amertume. Cet homme n’a jamais compris ma vie intérieure. Il avait le don, malgré ses qualités admirables, de me déstabiliser en permanence psychiquement et spirituellement. Hors de son influence, j’ai pu me reconstruire peu à peu. J’ai pu devenir une femme pleinement libre, toutes chaînes rompues, pour vivre une vie personnelle épanouie et me donner au Seigneur. Dans la petite chapelle de Hautecombe, j’avais en fait bien entrevu mon avenir : oui, j’allais me consacrer au véritable Amour de ma vie, le Christ. A la nuance près que le temps de Dieu n’est pas le temps des hommes, et qu’Il a la délicatesse de ne pas nous montrer à l’avance les tourments par lesquels il nous faudra passer pour atteindre la plénitude à Ses côtés.
https://www.cana-couple.fr/proposition/semaine-cana-couples-hautecombe/