J’ai eu cette chance, qui devient de moins en moins courante de nos jours en France, de naître dans une famille profondément croyante et pratiquante. Famille modeste mais ayant toujours eu à cœur de vivre concrètement dans l’esprit de l’Evangile. Oh rien de bien compliqué ni trop ritualisé : pas de prière en famille sinon le bénédicité d’avant les repas – que nous avons d’ailleurs abandonné au fil des années – la messe tous les dimanches depuis les plus jeunes années avec les sacrements proposés selon les âges, et surtout l’exemple d’un curé de paroisse exceptionnel qui vivait en cohérence profonde avec ce qu’il prêchait : l’ouverture à autrui, l’amitié franche, la solidarité, la droiture quotidienne, et aussi le militantisme quand il s’agissait de protéger et d’émanciper les plus démunis et opprimés. Point de leçons de morale, mais l’Evangile vécu dans les faits et gestes, avec une référence évidente au Christ doux, humble de cœur et toujours juste. Vraiment, je ne tarirai pas d’éloges sur ce prêtre qui a façonné ma foi tout au long de mon enfance et de mon adolescence. Nous étions des paroissiens heureux de sa cohérence et bénis par son large et chaleureux sourire.
Mon oncle prêtre veillait aussi à notre édification chrétienne, en nous abonnant à des revues qui consacraient quelques pages à la foi. Perlin et Pinpin, Fripounet, J2 Magazine qui devint Djin quand j’eus l’âge de le lire, ou encore Okapi et Christiane. Ces lectures divertissantes et nourrissantes ponctuaient nos semaines et compensaient le manque de livres à la maison. C’était la récompense hebdomadaire du goût de lire et d’apprendre, on y puisait aussi maintes images pour illustrer nos cahiers d’école et nos exposés, bien longtemps avant les ordinateurs, les imprimantes et internet.
Nous possédions aussi un jeu offert par ce même oncle prêtre : “Le jour du Seigneur”, du nom de l’émission du dimanche matin sur la 2ème chaîne, qui fort heureusement existe toujours. Comme j’aimais ce jeu, et quel bénéfice j’en ai tiré ! Il s’agissait de faire progresser des petits apôtres en guise de pions sur les terres où Jésus avait marché, de ville en ville, sur le principe d’un jeu de l’oie. Point de dés, mais des cartes à tirer, sur lesquelles figuraient des versets des quatre Evangiles. Le nombre de cases à parcourir était défini par un chiffre de ce verset marqué en rouge. D’autres cartes, que l’on tirait par bonus, renvoyaient à un verset de l’Evangile que l’on devait rechercher dans le livre bleu des Quatre évangiles, et qui comportait le nom d’une ville dans laquelle on pouvait alors se rendre, avançant en conséquence dans le jeu ou reculant parfois. J’aurais eu plaisir à lire dans ce gros livre qui me fascinait déjà – nous n’avions aucune Bible chez nous – mais mes grandes sœurs, pour que les parties soient plus rapides, avaient constitué un répertoire des villes citées dans les différents versets. Dommage, on ne cherchait plus la ville attribuée dans le gros libre bleu mais sur une feuille récapitulative.
Pendant les vacances et les jours sans école, nous jouions très souvent à ce jeu fort édifiant. Et ainsi, pendant toute mon enfance, j’ai lu, entendu et mémorisé maints versets des quatre évangiles qui figuraient sur les cartes remplaçant les dés. De même, les noms de toutes les villes où Jésus avait vécu, annoncé le Royaume et accompli des miracles nous étaient ainsi familiers, étapes clés du plateau de jeu.
Je me rends compte aujourd’hui que cette enfance très simple mais pieuse m’a profondément ancrée dans la parole de Jésus. Je connais maints versets par cœur depuis tout ce temps, certainement mieux que les proverbes et dictons. Quelle meilleure imprégnation de la Parole de Dieu pouvais-je espérer ?
Alors je rends grâce pour cette chance que j’ai eue de connaître l’Evangile par les mots et par les actes, si tôt dans ma vie et pour si longtemps. Et il me semble par conséquent d’autant plus incongru, dans des débats sur les réseaux sociaux, d’être renvoyée par certains au catéchisme de l’Eglise catholique, comme si j’avais besoin d’un tissu de prescriptions ecclésiales pour comprendre vraiment la Parole et la Volonté de Dieu.