Méditant aujourd’hui sur la Transfiguration du Seigneur en Marc 9, 2-13, je me dis que Jésus a tout de même bénéficié, pour lui et ses disciples, de signes forts venant de Dieu son Père pour authentifier sa filiation et sa messianité. Qu’y a-t-il de plus difficile à croire, en ce monde, que quelqu’un puisse être Messie et même enfant du Père par lien direct ? Gageons que Jésus lui-même a eu du mal à s’en persuader.
Considérons déjà Marie sa mère : bien qu’ayant vécu, elle et elle seule, l’annonciation, elle demeurera tout au long de la vie de Jésus attentive à ce qui sera dit de lui et d’elle-même à travers lui : des paroles d’Elisabeth sa cousine (Luc 1, 39-56) à celles de Jésus lui-même quand il demeure au temple de Jérusalem à douze ans ((Luc 2, 41-50) en passant par la prophétie de Syméon lors du rite de la purification après la naissance de l’enfant (Luc 2, 22-35), Marie demeure dans l’écoute et la méditation quant à ce fils dont elle sait pourtant très bien qu’il n’est pas celui de son époux Joseph. Elle sait bien qu’il lui est né de Dieu, mais demande à être confirmée longtemps dans l’annonce que l’ange Gabriel lui a faite au sujet de l’enfant de la promesse, comme si même pour elle, sa propre mère, il était inconcevable, dans l’humilité qui la caractérise, de penser qu’elle ait enfanté le Messie que tout le peuple d’Israël attendait depuis si longtemps dans la ferveur. Marie a reçu la grâce suprême de l’annonciation et de la naissance de Jésus de son sein virginal, mais on peut déduire de sa soif de compréhension de ce mystère que Dieu ne l’a pas comblée de signes permanents quant à cet enfant si particulier. Elle recherche avidement en lui et en ses propres interlocuteurs qui il est vraiment.
De même, plus tard, ses disciples. Bien qu’ils aient la grâce insigne de contempler jour après jour les miracles que Jésus accomplit – pêche miraculeuse, guérisons, exorcismes, multiplication des pains… – les apôtres continuent, à l’exception de Pierre, à se demander qui est Jésus sans être persuadés qu’il soit le Messie. Aussi Dieu va-t-il donner des signes supplémentaires à quelques-uns, comme la transfiguration sur la montagne pour Pierre, Jacques et Jean. A charge pour eux d’en témoigner après la résurrection du Seigneur, quand ils seront enfin en mesure de comprendre le sens de tous ces événements. En attendant, Jésus, qui connaît tous les dangers de rejet qui le guettent, les enjoint au silence, car ce type de grâce reçue engendre bien plus souvent le doute, la jalousie spirituelle et la persécution de la part de ceux qui n’en ont pas bénéficié que l’inverse.
Quelqu’un demandait récemment sur les réseaux sociaux pourquoi Bernadette Soubirous n’avait pas parlé à ses sœurs en religion, au couvent de Nevers, des apparitions de Marie dont elle avait été favorisée à Lourdes. Eh bien, exactement pour les mêmes raisons ! Tous les mystiques authentiques savent qu’il faut être infiniment discret, dans le monde et même dans l’Eglise, sur les grâces prodiguées par Dieu, qui éveillent invariablement en autrui suspicion et railleries, et non pas fervente admiration comme on pourrait le croire. On a d’ailleurs là un critère de discernement majeur de l’authenticité, ou non, d’une grâce mystique, d’une prophétie: le “voyant” ou “écoutant” qui s’attire des foules d’admirateurs de son vivant et fait étalage public – voire, pire encore, lucratif – des soi-disant grâces reçues est presque à coup sûr un imposteur. Je me désole, à ce sujet, des défaillances de discernement de l’Eglise qui tombe dans les filets de Medjugorje et autres faux prophètes de cette nébuleuse. Lamentable propension à scruter les foules qui entourent un phénomène, et à ne pas négliger les rentrées d’argent qu’il engendre. Arguer de conversions ou de vocations sacerdotales obtenues est tout aussi vain : est-ce vraiment le Seigneur qui appelle encore et encore des mariolâtres et des catholiques identitaires à son service ? J’en doute fort.
On l’a vu, Dieu, oui, peut se montrer magnanime quand il veut fortifier, pour la mission, son envoyé, son prophète. Au besoin, il fera partager les signes de son élection à des témoins nécessaires, tels que Pierre, Jacques et Jean dans l’événement de la transfiguration, Elisabeth ou Syméon pour rassurer et édifier la toute jeune Marie, et plus tard Ananie pour conforter Paul dans la grande grâce reçue sur le chemin de Damas ( Actes des Apôtres 9, 1-19).
Mais Dieu use aussi d’une très grande parcimonie dans le don de signes, car Il ne désire jamais pouvoir se prouver, Il attend de l’homme et de la femme foi et libre adhésion. Là où il dispense grâces et signes, il sollicite notre intérêt voire notre quête, et à terme notre confiance, notre saut dans l’abîme vertigineux et déstabilisant de la foi totale.
J’en donnerai un seul exemple, que je ne me lasse pas de rappeler si d’aventure on me trouvait dure par rapport aux prétendus prophètes contemporains. C’est vrai, très peu trouvent grâce à mes yeux. Là où il y a bavardage, lucre, ostentation et groupies, je fuis.
Par contre, il m’a été donné, en 2000, de découvrir “Le Livre d’Annaëlle”, rédigé par une petite fille juive polyhandicapée de moins de 10 ans, Annaëlle Chimoni – elle est décédée depuis – et pour le coup, dans ce témoignage-là qui, à vue de raison humaine, n’aurait jamais dû pouvoir émerger, je reconnais de tout mon cœur et de toute mon âme prophétie véritable et authenticité. Alors oui, il peut troubler nos doctrines chrétiennes figées, mais quel souffle incontestablement divin dans les mots bouleversants de vérité de cette fillette, juive comme tous les grands Prophètes l’ont été ! Et qui ne se lassait pas d’annoncer la venue prochaine du Messie encore attendu aujourd’hui par son peuple, qui, pour nous chrétiens, prend le visage du Christ en son second avènement.
Annaëlle a rendu le souffle à la fin de son adolescence, dans une quasi indifférence de notre nation la France, mais je ne me lasserai pas de la désigner comme une sorte de troisième Elie qui devait venir, après celui de l’Ancien Testament et après Jean le Baptiste. Pour annoncer les merveilles que Dieu nous a réservées en ce millénaire-ci. Oui.