Il est de ces week-ends dont vous revenez le cœur gonflé de confidences entendues, de paysages découverts, d’aventure spirituelle et de gratitude.
J’étais invitée chez une amie de longue date, confidente des bons et des mauvais jours, et ensemble, nous rendirent visite, pour une soirée et une nuit, à sa sœur. Entre leurs deux domiciles, Taizé, où j’aspirais à me rendre depuis de très longues années sans parvenir à concrétiser ce projet car, il faut bien le dire, le lieu n’est pas posé sur les axes de circulation habituels, ce qui fait d’ailleurs une partie de son intérêt.
D’abord, l’accueil des deux sœurs, chaleureux, généreux, familial. J’ai connu l’une il y a bien longtemps au hasard des forums internet où nous quêtions alors écoute et partage de nos difficultés à vivre avec une maladie peu banale. Sa sœur, qui ne me connaissait pas, m’invita avec elle quelques années plus tard, quand elle me sut seule pour la première fois un soir de Nouvel An, dans les affres de mon divorce. Le genre de geste d’une générosité extrême dont je sais être reconnaissante à jamais. Un lien s’était créé, établi d’emblée sans faux-semblant.
Nous voici donc à nouveau réunies toutes les trois, aux côtés d’un fils “petit dernier” devenu adulte dans l’intervalle. Soirée de canicule propice à un séjour prolongé sur la terrasse balayée par un vent encore chaud, partage d’un repas convivial et conversation qui donne libre cours aux confidences les plus sincères. J’entends, bouleversée, le récit d’un grave harcèlement professionnel qui trouve tant d’écho en moi. Ecouter, réconforter, conseiller dans cette situation qui dévaste les personnes les plus honnêtes et les plus investies dans leur profession. Revivre avec elle ces moments si douloureux que j’ai traversés aussi il y a trois ans maintenant. Recevoir ses larmes contenues. Entendre une détresse, accompagner une profonde remise en question existentielle. M’indigner encore et encore de l’injustice de ces temps où nous sommes, de l’acharnement fréquent, dans le milieu professionnel, contre les femmes quinquagénaires pourtant plus efficaces et compétentes une fois leurs charges familiales devenues moins prégnantes. Déplorer le peu de cas que l’on fait de nos jours de la longue expérience d’un métier face à de jeunes collègues carriéristes et parfois sans scrupules qui convoitent “d’évoluer” en piétinant au besoin les collègues plus anciennes et expérimentées.
Des heures de partage pour confronter nos vécus et nos ressentis, nos recours et nos espérances. Le tout dans une atmosphère de confiance et de chaleur humaine dont je rends profondément grâce.
Sur le retour vers chez mon amie, le lendemain, nous décidons d’un commun accord de nous arrêter à Taizé qui est au bord de notre trajet. Elle comme moi n’y sommes jamais allées. Il fait une chaleur écrasante, inédite pour une mi- juin.
J’imaginais le site de Taizé grouillant de monde et de jeunesse. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Nous arrivons à l’heure la plus chaude du jour, qui fait se terrer dans les abris ceux qui sont là, et préparer leurs examens ceux qui n’ont pas pu venir. Sous un chapiteau, un amas de bagages témoigne du départ prochain d’un groupe. Deux cents jeunes sont attendus dans la soirée, mais pas encore arrivés. Nous n’en croisons que quelques-uns dans les allées désertées de la communauté. On est dimanche, et il n’y a donc pas de prière du milieu du jour. L’Eucharistie était ce matin, et nous ne pourrons pas rester pour la veillée du soir. Ce sera donc par la force des choses une simple étape touristique sans office sur notre trajet retour. J’en ressens un manque et un regret qui me forceront à revenir un jour.
Nous partons à la découverte du site, par les rues calmes du vieux village brûlé d’un soleil têtu. Nos pas nous mènent à la belle petite église paroissiale romane. Emotion de découvrir la sépulture toute simple de frère Roger dans le cimetière autour de cette église, elle est recouverte de végétation un peu folle et on ne la distingue de celle des autres frères que par l’inscription “Frère Roger” sur l’humble croix de bois, et par un petit caillou peint d’une colombe avec l’inscription “Frieden” (paix) qui est simplement posé là, sur la croix.
Dans l’église, atmosphère paisible et recueillie. Une jeune femme y prie, seule.
Nous retraversons le site pour nous rendre à l’église de la Réconciliation. Sous un préau, un petit groupe de jeunes et quelques accords de guitare. Je goûte ce furtif signe de “l’ambiance Taizé” dont mes filles m’avaient parlé avec enthousiasme au retour d’un séjour de groupe, il y a déjà pas mal d’années.
L’église de la Réconciliation est vide – ah non pas complètement, je finis pas remarquer une jeune femme allongée entre les petits bancs, qui se repose ou médite là – mais nous avons du coup tout le loisir d’y déambuler et de nous imprégner de la beauté, de la sérénité et de la paix qui fait la réputation méritée de ce lieu de prière unique et rayonnant à travers le monde. J’ai lu naguère l’histoire de la fondation de la communauté de Taizé racontée par frère Roger. Il a fallu toute son inspiration prophétique opiniâtre pour faire de ce tout petit village de Bourgogne écarté des grandes voies de circulation une des plus belles réussites œcuméniques du vingtième siècle. Honneur et reconnaissance à ce saint contemporain de la pertinence évangélique et de l’humilité.
Comme, à l’exception de la jeune femme qui se fond discrètement dans le décor, nous sommes seules dans la vaste église, je m’autorise des prises de vue dont je rêvais depuis longtemps. Vitraux, lumières, chœur, icônes, tabernacle, tout est magnifiquement beau et sobre dans ce haut-lieu de prière. Mon amie et moi en ressortons à la fois éblouies et apaisées. Elle ne regrette pas que ma présence à ses côtés l’ait fait s’arrêter là pour la première fois elle aussi.
Un passage dans la boutique où tout est beau, sobre et utile, à l’image du site, et quelques achats pour ramener un peu de Taizé chez soi et soutenir la communauté, et nous nous en retournons, sous un soleil toujours implacable, sereines et reconnaissantes.
Intense escapade d’un week-end, dont chaque instant restera gravé dans ma mémoire et chaque parole entendue sera l’objet de mon intercession vers le Créateur de toute beauté et le Dieu de toute justice.
2 commentaires
Merci beaucoup pour votre témoignage Edith, vous avez bien de la chance d’avoir connu frère Roger !
Bonjour Véronique, je connais Taizé, j’ai connu Frère Roger, et nous avons emmené un groupe pour un temps fort. Mais, à présent très limitée, ce sont des souvenirs. Oui, il faut revenir un WEEK-END c’est très beau. Nous étions un groupe qui travaillions l’Évangile chanté et gestué et nous nous sommes retrouvés pour la Veillée Pascale à Taizé, sublime. Le Christ était vraiment Ressuscité.
Merci pour votre article tout en subtilité, l’amitié bien comprise, c’est cela.