Je ne sais pas ce qu’il en est pour vous, amis lecteurs, mais personnellement, à chaque messe depuis l’Avent 2021, je suis incommodée par la formule d’invitation à l’eucharistie : “Heureux les invités au repas des noces de l’Agneau.” Je préférais largement l’ancienne : “Heureux les invités au repas du Seigneur”.
Pourquoi ? Parce que je la trouve à la fois erronée et excluante. Et l’article, au demeurant intéressant, que le journal La Croix publie aujourd’hui (lien ci-dessous et article complet en commentaire) ne suffit pas à me faire changer d’avis.
Le repas des noces de l’Agneau, ce n’est pas l’Eucharistie ! Voilà une façon bien trop catholico-centrée de raisonner. Le repas des noces de l’Agneau se situe tout à fait clairement, selon la Bible, dans les temps eschatologiques, après le retour du Christ en Gloire (Livre de l’Apocalypse, chapitres 19 à 22).
Et qu’est-ce qui nous permet d’affirmer que l’Epouse de l’Agneau, c’est l’Eglise ? Curieuse façon de revenir à l’ancienne assertion “Hors de l’Eglise, point de salut !”
Qu’est-ce que l’Eglise quand on la considère comme “l’Epouse de l’Agneau” ? Une assemblée de pratiquants mettant plus ou moins en œuvre les commandements de l’Evangile, et menée d’une main de fer par une hiérarchie de clercs ensoutanés ? Plus justement, l’ensemble des baptisés ? Mais alors, quid des non-baptisés ? Tous les non-croyants ou croyants d’une autre tradition religieuse seraient donc exclus du “repas des noces de l’Agneau” aux temps eschatologiques comme ils le sont de l’Eucharistie catholique ?
Et encore, avec cette traduction du nouveau missel romain à la messe, les exclus des sacrements néanmoins pratiquants ne se sentent-ils pas encore plus stigmatisés ? Exclus du “repas du Seigneur” pour des raisons discutables, ils seraient donc également exclus du “repas des noces de l’Agneau”? Cruelle anticipation du salut de la part de l’Eglise catholique romaine !
Je n’adhère donc aucunement à cette nouvelle formule qui nous a été imposée. Et j’ajoute que si ces messieurs en soutanes et chasubles qui décident des us et formules en Eglise se retrouvent un jour face à l’Epouse de l’Agneau qui ne sera pas du tout eux-mêmes mais celle que le Christ Jésus se sera choisi dans sa suprême liberté de Roi d’éternité, ils risquent d’être bien marris et de se cacher à la toute dernière place au repas des noces de l’Agneau et de son Epouse par lui élue.
Lien vers l’article de Venceslas Deblock dans La Croix du 24 juin 2022 :
https://www.la-croix.com/Le-repas-noces-lAgneau-2022-06…
L’article complet :
D’où vient cette formule liturgique ?
Depuis la parution de la nouvelle traduction du Missel romain au début de l’Avent 2021, prêtres et fidèles découvrent un nouvel invitatoire à la communion : « Voici l’Agneau de Dieu qui enlève les péchés du monde. Heureux les invités au repas des noces de l’Agneau. » Cette longue formule juxtapose deux citations du Nouveau Testament. La première, tirée de l’Évangile selon saint Jean (1, 29), est la parole de Jean le Baptiste lorsque Jésus vient vers lui. Insérée dans l’histoire terrestre du Christ, il s’agit d’une parole prophétique qui porte sur son identité divine. En effet, seul Dieu peut pardonner les péchés.
« Cette parole du Baptiste souligne la portée salvifique de l’Eucharistie, explique le frère Patrick Prétot, professeur à l’Institut catholique de Paris. Le canon 1743 du concile de Trente l’exprime avec force : “(Dans le sacrifice eucharistique), le Seigneur (…) remet les crimes et les péchés, même ceux qui sont énormes.” »
La deuxième citation, « Heureux les invités au repas des noces de l’Agneau ! », provient du Livre de l’Apocalypse (19, 9). Son propos s’inscrit dans une ample vision de l’achèvement du projet de Dieu vainqueur du mal. L’Apocalypse utilise l’image des noces de l’agneau, représentant le Christ, et la « foule immense » (Ap 19, 6) de ceux qui l’ont suivi. L’emploi de ce verset de l’Apocalypse rappelle que, « dans la liturgie terrestre, nous participons comme un avant-goût à cette liturgie céleste » (1).
Quelle est l’origine biblique du thème de l’agneau et des noces ?
Les thèmes de l’Agneau et des noces proviennent de l’Ancien Testament, rappelle le père Jacques Descreux, doyen de l’Université catholique de Lyon. Celui de l’Agneau s’enracine dans plusieurs traditions. Il fait référence à l’agneau sacrifié par les Hébreux lors de la Pâque, avant de quitter l’Égypte, raconté au chapitre 12 de l’Exode. Consommé en famille ou avec les proches, selon l’ordre de Dieu transmis par Moïse, il s’agit d’un sacrifice de communion avec Dieu et entre les hommes que les juifs continuent de célébrer à chaque fête de la Pâque.
L’Agneau évoque également les sacrifices du matin et du soir au temple de Jérusalem, tel que le Livre de l’Exode le décrit au chapitre 29. « Ces sacrifices quotidiens étaient considérés comme des sacrifices propitiatoires. Ils étaient destinés à rendre Dieu favorable », ajoute Jacques Descreux.
Le thème prend un sens nouveau avec le chapitre 53 du Livre d’Isaïe qui identifie l’envoyé de Dieu à « l’agneau maltraité, qui s’humilie, n’ouvrant pas la bouche, conduit à l’abattoir (…) chargé des fautes de la multitude ». Dès lors, l’Agneau n’est plus seulement l’animal sacrifié, mais une façon de parler du messie que Dieu enverra.
Le thème des noces émerge surtout dans les livres prophétiques d’Osée, de Jérémie et d’Isaïe. Il renouvelle la manière de parler de l’Alliance de Dieu avec son peuple. Reposant sur le respect de la loi de Moïse, elle est désormais comprise de façon plus relationnelle, basée sur l’amour et la fidélité.
Comment le Nouveau Testament renouvelle-t-il ces thèmes ?
Le père Descreux rappelle le contexte de l’Église naissante : « Les premiers chrétiens se sont mis à fouiller dans l’Ancien Testament pour donner sens à la mort de Jésus. » Les figures de l’Agneau et de l’Époux ont alors semblé les plus adaptées pour décrire l’identité du Christ. Pourtant, les deux thèmes, le sacrifice sanglant et la joie des noces, semblent contradictoires. L’Agneau devient la principale façon de désigner le Christ. Pour Patrick Prétot, « dans la foi, Il est l’Agneau immolé sur la croix aux jours de la Pâque, en sacrifice pour les péchés et en sacrifice de communion ».À la suite des prophètes, Jésus recourt souvent au thème des noces, dans les paraboles notamment. Par ailleurs, les Évangiles témoignent de l’importance pour lui de la réalité du repas comme espace de convivialité. Jean situe le premier signe de Jésus lors de noces, à Cana. C’est en puisant à différentes sources dans l’Ancien Testament que les premiers chrétiens parviennent à exprimer le mystère pascal. Ils désignent Jésus comme l’ultime victime sanglante, ultime agneau sacrifié, mais aussi comme celui qui traverse la mort, époux de son peuple vivant à jamais. « En Jésus, l’Agneau sacrifié n’est pas un agneau mort, mais un agneau glorieux », rappelle Jacques Descreux.
Pourquoi parler de repas des noces de l’Agneau pour désigner l’Eucharistie ?
« Notre Sauveur, à la dernière Cène, (…) institua le sacrifice eucharistique de son corps et de son sang pour perpétuer le sacrifice de la croix au long des siècles, jusqu’à ce qu’il vienne, et pour confier ainsi à l’Église, son Épouse bien-aimée, le mémorial de sa mort et de sa résurrection (…) » (2).
Cette définition de l’Eucharistie donnée par le concile Vatican II articule son institution au cours de la Cène et le sacrifice du Christ sur la Croix, en vue du Salut. L’expression « repas des noces de l’Agneau » rend bien compte de ce triple enracinement : l’eucharistie est un repas au cours duquel les fidèles mangent, et l’agneau mangé est le Christ lui-même, offert en sacrifice sur la croix pour le Salut des péchés.
La précédente traduction du Missel romain avait préféré l’expression « repas du Seigneur ». Celle-ci évoquait plutôt le moment historique du dernier repas de Jésus. La nouvelle traduction permet de mieux rendre compte du repas eucharistique institué par le Christ au soir du Jeudi saint comme anticipation du repas eschatologique, des noces du Christ et de l’Église dans la vie éternelle. Jacques Descreux souligne que cet invitatoire exprime mieux la dimension d’anamnèse de l’Eucharistie, enracinée dans le passé, vivante aujourd’hui et orientée vers le Salut. Sa proclamation invite les fidèles qui vont communier au corps du Christ à réaliser sa présence sacramentelle, le Salut offert sur la croix et l’avenir glorieux qui leur est promis avec Lui.
(1) Concile de Vatican II, constitution Sacrosanctum Concilium, § 8. (2) Ibid, § 47.
Image : Hubert et Jan van Eyck – L’Adoration de l’Agneau mystique XVe