Avec le décès de mon oncle prêtre fin août, je déplore dans ma famille la perte de toute la génération née avant guerre. J’ai encore une unique tante, mais elle était bien plus jeune que mon papa, et s’est toujours montrée, par sa jeunesse de caractère et de points de vue, plus proche de ma génération que de celle de mes parents.
C’est tout un pan de culture et de souvenirs familiaux qui nous échappe désormais. Etrange sentiment que de devenir à notre tour la génération qui doit transmettre aux suivantes l’histoire familiale intriquée dans l’Histoire.
Mon père, décédé il y a deux ans, avait des souvenirs vifs et précis de son enfance et de sa jeunesse, et nous nous délections à les entendre, même s’ils relataient une époque bien douloureuse. En cours préparatoire, il affronta l’occupation de l’Alsace-Moselle et la classe faite brutalement en allemand jusqu’à la fin de sa scolarité primaire. Il en avait été de même pour ma mère, une génération sacrifiée du point de vue des études, qui ne maîtrisait pas complètement le français écrit et pas assez bien non plus l’allemand littéraire. En outre, et il en parlait souvent, mon père avait été déplacé plusieurs mois avec sa maman et sa sœur aînée vers la Vienne où ils furent réfugiés de guerre avec nombre de Mosellans. Au retour, ils retrouvèrent leur maison pillée, et durent repartir à zéro. Ils avaient également hébergé à la fin de la guerre un soldat américain qui leur avait enseigné quelques bribes d’anglais… et fait connaître le chewing-gum.
Je suis encore toute pleine de ces souvenirs maintes fois évoqués, mais à qui demander désormais qui est tel ou tel personnage sur les photos de famille ? A qui poser des questions sur nos origines, et aussi sur tout ce savoir artisanal et paysan qui a tant imprégné la génération familiale nous précédant ? Comment retrouver l’histoire des maisons où nous avons vécu, des meubles que nous avons gardés, des objets qui nous ont été transmis ?
Nostalgie d’un temps où l’on pouvait se confier à plus âgé que soi, goûter la sagesse des ancêtres qui en avaient vu bien d’autres dans leur vie…
J’ai coutume, quand je pars en vacances ou pèlerine ici ou là, d’envoyer une carte postale à mes bien-aimés qui n’ont pas de smartphone, qui s’ennuient en Ehpad, qui savent encore se réjouir de ce petit signe simple d’attention. Au fil des années, mon carnet d’adresse “cartes postales” s’est réduit, pour finir par être totalement inexistant. Tous mes proches âgés voire dépendants sont passés sur l’autre rive. Notre génération est devenue désormais la plus ancienne de la famille. Etrange basculement, inéluctable, mais qui apporte son lot de nostalgie et de responsabilité vis-à-vis de ceux qui nous succèdent…
Photo : La première messe de mon oncle prêtre en juillet 1962, mes grands-parents maternels, mes sœurs aînées.