Longtemps, on l’aura vu aux premières places. Première place à la table eucharistique, première place sur les cartons d’invitation et les listes de remerciements, première place dans les décisions à prendre et les nominations à effectuer, première place dans les intercessions eucharistiques…
Je l’admirais beaucoup, je le sentais foncièrement bon, et j’espérais de toute mon âme une entrevue que je n’osais solliciter et qui n’eut jamais lieu. Et quand il prit sa retraite, je conçus du regret, comme pour un rendez-vous raté, tant de choses que nous aurions pu nous dire, tant de dysfonctionnements que nous aurions pu évoquer et tenter de changer ensemble, ce qui désormais n’adviendrait plus. Du regret que je chassais tant bien que mal de mon cœur, car lui disait, en nous quittant, qu’il tentait toujours de ne pas en garder, le regret appesantissant l’âme.
Les années ont passé, je n’attendais plus grand chose de l’Eglise sinon l’eucharistie et la fraternité paroissiale, je contemplais dévastée l’étalage des scandales à répétition, je comprenais blessée l’omerta qui avait eu cours bien trop longtemps, je communiais dans la douleur au martyre de tant de victimes auxquelles la CIASE tentait de rendre parole et dignité. Non, je n’attendais plus grand chose de bon de l’Eglise…
Et puis, un frémissement. Deux prêtres bons et à l’écoute, s’étant penchés sur mes écrits, répondant à mes messages, acceptant d’en lire plus encore et de me donner leur ressenti. Un jeune évêque célébrant les obsèques d’un proche avec des mots pesés et particulièrement bien adaptés, un jeune évêque si pertinent et convainquant. Le goût d’écrire me revenant, avec une forte impulsion à le faire, reçue dans ma prière.
Et j’ai eu envie de lui partager tout ça, à lui qui n’était plus du tout à la première place. Une petite lettre qui l’a touché, un coup de fil bref qui m’a mise en joie, et un rendez-vous accordé. Là, dans la petite communauté humble et cachée dans un vallon, près d’une source sanctifiante, dans laquelle il s’est enfoui pour sa retraite. Un rendez-vous accordé, dix ans après en avoir tant désiré un sans oser jamais le demander.
Oh douce et sainte rencontre ! Que de belles choses échangées dans ce petit salon tout simple, derrière la chapelle, après une messe matinale qui m’a fait partir bien tôt de chez moi, car il y a deux bonnes heures de route entre nous.
Que de confidences spirituelles, de sourires échangés, de questions pertinentes posées de sa part et auxquelles j’étais si heureuse de pouvoir enfin répondre ! Joies et peines confiées, intercessions demandées, et là, mes deux livres sur ses genoux, maintenant qu’il pourra mettre un visage sur mon nom. Bienheureuse entrevue, dans le temps retrouvé pour lui, dans la confiance reconquise pour moi. Dialogue si profond, et prière de bénédiction que j’ai accueillie dans une suprême gratitude.
Appelé à la première place à laquelle il a servi de son mieux, il fait retour en lui-même et dans la prière dans ce lieu un peu perdu où ne vient pas vraiment grand monde, dans ce bout de territoire sans réputation touristique, dans cette humble communauté de quelques frères dont la prière et le chant montent au son cristallin d’une cithare.
Et je rends grâce infiniment pour cette heure suspendue dans le temps, à échanger sur la vie, la foi, l’Eglise et le goût de la place que le Seigneur nous octroie.
1 commentaire
Que c’est beau et réconfortant à l’heure oú on ne sait plus en qui avoir confiance aujourd’hui. Ni comment exercer son discernement!