C’est avec émotion que je tente une recension du livre de mon amie Laure Mestre car sa genèse n’est pas étrangère à notre rencontre ici, entre les lignes de ce blog, il y a neuf ans à présent. Une très belle amitié était en train de naître, et quand j’ai reçu Laure chez moi pour la première fois, elle s’est retrouvée de manière imprévue sur les terres de ses ancêtres, tout près de là où je vis. Ainsi allait mûrir en elle le projet de ce beau livre, dont j’ai suivi année après année la patiente élaboration.
Peut-être est-ce la raison pour laquelle je ne l’ai moi-même pas lu en peu de temps : ce long récit raconte cinq générations successives de femmes, de mère en fille, Jeanne, arrière-grand-mère maternelle de Laure Mestre en étant la figure centrale. Il m’a fallu plusieurs mois, de tranches de vie en périodes historiques, pour me familiariser avec la généalogie de Laure, pour revisiter l’histoire si singulière de l’Alsace, ma terre d’adoption, liée de guerres en annexions à celle de la Moselle, ma terre natale. Laure Mestre nous fait ici un récit très fouillé et précis historiquement, fruit d’une intense recherche, méticuleuse, consciencieuse, une récapitulation précieuse de ce que fut l’histoire du territoire alsacien depuis le début du XIXème siècle. Dans son récit habile, l’autrice mêle avec brio la petite et la grande histoire : des ancêtres de Jeanne à ses descendants, nous parcourons l’histoire mouvementée d’une famille qui a été, dans ses déplacements géographiques, ses heurs et ses malheurs, intimement, charnellement liée à celle de la terre alsacienne, entre opulence et tragédies.
On s’attache à la figure de Jeanne, beauté énigmatique dont le regard nous saisit dès la couverture. Laure Mestre explore d’abord ses propres souvenirs familiaux à son sujet, puis leurs archives personnelles, pour poursuivre par une enquête rigoureuse des archives locales et départementales ponctuée de maintes rencontres instructives sur les terres de ses ancêtres. Son ouvrage est ainsi rédigé de manière chronologique, comme un journal de bord de ses découvertes successives, et nous cheminons ainsi avec elle au long de plus de trois années d’enquête fouillée qui livre maints rebondissements. Jusqu’à la dernière page, nous sommes tenus en haleine par cette saga autour de la personne de Jeanne qui nous délivre peu à peu les secrets de son regard nous interpellant à chaque fois que l’on reprend le livre en main. Et Laure chemine elle aussi au long de la rédaction de son ouvrage, dans une écriture fluide et admirable, comprenant peu à peu les répercussions, jusque dans son propre corps, des secrets et non-dits familiaux. L’accumulation de tragédies familiales et locales s’inscrit dans l’inconscient de cette lignée par des manifestations psychiques et somatiques qui touchent notamment les femmes de cette généalogie, comme pour nous mettre en garde : tout ce qui est dissimulé dans une famille par honte ou pudeur n’est pas occulté pour autant, surgissant dans les corps et les âmes quand on ne s’y attend plus.
A ce titre, Laure Mestre a accompli avec “Jeanne l’Alsacienne” un travail de relecture de vie et d’écriture sans doute salvateur pour elle et les membres de sa famille, mais pas seulement : nous ses lecteurs mesurons aussi, grâce à son œuvre courageuse et impressionnante, à quel point il est important de faire en toutes choses lumière et vérité, l’enfouissement des secrets de famille ne tendant qu’à ressurgir au long des générations comme un poison capable de s’insinuer jusque dans les corps.
Reconnaissance donc à mon amie Laure Mestre pour ce très beau livre qui m’a accompagnée plusieurs mois, et n’est pas étranger à ma propre volonté de faire et dire toujours la vérité.
Jeanne L’Alsacienne, récit transgénérationnel , Laure Mestre , Editions Librinova