Elle aurait eu 82 ans aujourd’hui, mais la vie qui ne lui fut pas toujours tendre en a décidé autrement. Elle est décédée, malade, en 2017.
Pour moi, elle aura vraiment été une marraine, depuis mon baptême jusqu’à son dernier souffle. Cousine de ma maman, après un mariage de jeunesse malheureux qui n’aura pas duré longtemps pour cause d’alcoolisme et d’adultère de son mari, elle n’a jamais eu d’enfants, ni d’ailleurs de neveux ou nièces, et je sais que j’ai beaucoup compté pour elle. C’était un peu un privilège pour moi que d’avoir une marraine qui ne soit ni une tante à partager avec mes sœurs, ni une maman qui de ce fait m’aurait accordé moins d’attention. Elle venait chez nous en car, n’ayant point de voiture, notre village étant voisin du sien. Elle était pour moi comme une bonne fée. Jamais elle n’aurait manqué de m’offrir un cadeau à Noël et aux grandes occasions malgré ses très pauvres moyens, elle qui était femme de ménage. Je me souviens ainsi de ma médaille de baptême – celle de la rue du Bac – de ma toute première montre pour ma communion, d’une petite radio blanche à piles que nous avions choisie ensemble et que j’écoutais avidement dans ma chambre d’adolescente, d’une paire de draps verts que j’ai encore et d’un ensemble pull et cardigan tricoté par ses soins, le pull contenant de la laine me grattait un peu mais j’ai beaucoup porté le gilet, enveloppée dans sa tendresse !
Et ainsi, toute son humble vie, elle m’a témoigné son affection dans son langage un peu rude, celle d’une simple au grand cœur. Quand je faisais un petit circuit à vélo, je m’arrêtais devant sa maison pour l’embrasser en passant. Je savais que cela la comblait de joie. Dans mon chemin du lycée à la gare, je la rencontrais aussi parfois qui revenait de sa journée de travail. Nous faisions un bout de chemin ensemble sur le pont venteux.
Elle eut quelques consolations dans un âge avancé avec un second mariage, son mari, très simple lui aussi, lui offrant une compagnie appréciable dans leurs vieux jours, elle qui avait eu si peu de réconfort au long d’une vie de labeur et de solitude. Il partit avant elle, et elle poursuivit seule encore, malade, accompagnée par des voisins attentionnés mais non désintéressés, la maison étant mitoyenne et se retrouvant comme par hasard léguée à eux par testament tardif. Toute sa vie aura été ainsi, généreuse pour autrui plus que pour elle-même…
Je lui suis infiniment reconnaissante de m’avoir tenue dans ses bras tandis que coulait sur mon front de deux semaines l’eau du baptême, et d’avoir si bien tenu son rôle de marraine auprès de moi toute sa vie. Aujourd’hui, ne pouvant plus lui souhaiter un joyeux anniversaire, je me suis replongée dans ses photos de famille qui me sont revenues à son décès. Et je découvre celle-ci, où elle est toute rayonnante, sans doute au mariage de sa sœur cadette. Je désire garder d’elle cette belle image, où l’élégance occasionnelle d’un jour de fête révèle sa beauté qu’on pouvait si bien voir avec le cœur.