Depuis que j’ai la chance d’être retraitée, mon grand jardin est devenu, aux beaux jours, ma passion et mon occupation favorite. Beaucoup de bonheur à l’entretenir, à cultiver un potager en carrés surélevés que j’ai créé au fil de ces dernières années, à fleurir massifs et jardinières, à prendre soin des arbres qui ont tous été plantés selon mes projets depuis la construction de cette maison sur une friche informe il y a presque trente ans.
Parmi ces arbres, trois conifères ont une signification particulière pour nous, car chacun d’eux est lié implicitement à l’un de mes trois enfants. On en trouvera l’histoire détaillée dans cet article datant de 2015 :
https://www.histoiredunefoi.fr/blog/5502-histoire-de-trois-coniferes
Or, j’ai dû prendre aujourd’hui une décision qui m’a brisé le cœur : le sapin jamais devenu très grand qui symbolise ma fille de trente ans, mon deuxième enfant, végète depuis deux ou trois ans, et ce printemps il est apparu jauni, envahi de lichen, presque entièrement sec. Il rendait ce coin du jardin particulièrement inesthétique. Non sans scrupules, j’ai décidé de le faire abattre. La tronçonneuse expéditive de mon voisin a failli m’arracher des larmes. Des branches, le tronc, puis la souche. Du protégé de ma grand fille, il ne reste que des déchets secs à passer au broyeur de végétaux.
Cela pourrait être un événement somme toute naturel et banal si j’avais pu l’en avertir, la consulter à ce sujet, lui annoncer cette triste fin de son conifère attitré et recueillir son assentiment pour l’abattage.
Oui mais voilà : ma chère grande fille, ma merveilleuse dont je suis si fière, mon amour et ma blessure, le fruit de mes entrailles ne veut plus avoir de contacts avec moi depuis presque deux longues années, soit à peu près autant de temps que l’agonie de son arbre. Raisons obscures, amertume de violents conflits naguère entre son compagnon et celui de sa petite sœur, ressentiments issus de son adolescence douloureuse quand j’allais si mal, maladresses sans doute dans mon éducation car comme toutes les mères, je n’ai pas été une maman parfaite.
Mais cette prise de distance radicale est si longue et tellement douloureuse pour moi ! J’ai tant besoin d’avoir de ses nouvelles, d’entendre sa voix ne serait-ce qu’au téléphone, d’écouter ses joies et ses peines, de pouvoir la serrer dans mes bras et de partager des moments privilégiés avec elle comme jadis quand elle venait se ressourcer quelques jours à la maison et profiter de notre bel environnement pour aller marcher, pour fêter avec nous sa famille les grandes dates et les fêtes religieuses qui émaillent l’année !
Je me souviens qu’avec elle, quand elle était bébé, le sevrage fut une étape très difficile.
Ainsi de moi aujourd’hui, sevrée malgré moi de son sourire, de sa grâce et de ses talents… Je suis une maman en souffrance.
Mon voisin est venu avec sa tronçonneuse, et en un instant, le sapin malade était démembré.
Oui mais…
A côté de la souche à vif, au milieu des herbes folles et des fleurs sauvages inaccessibles à la tondeuse jusque là, poussait avec détermination un jeune lilas déjà grandi, une belle tige pourvue de feuilles vert tendre qui m’a tout l’air de vouloir rester installée là, d’occuper cet espace libéré par le sapin mort, d’embellir le jardin de sa silhouette prometteuse et de donner bientôt de ces belles fleurs odorantes qui sont mes préférées.
Au milieu de la pelouse, le symbole de l’enfance révolue de ma fille a disparu, mais pousse à présent, par sa propre volonté, un lilas porteur de toutes les promesses de la belle saison revenue.