Mon histoire avec Ben-Hur commence au cours moyen, quand notre maître employait souvent l’expression “Arrête ton char, Ben-Hur !” pour nous faire taire ou cesser nos petites bêtises enfantines. J’avoue que je ne comprenais rien à son injonction, ne sachant pas qui était Ben-Hur, ni ce qu’un char venait faire là. Mon inculture chronique me rendait le langage des adultes parfois obscur.
Hasard ou intention cachée du Seigneur qui imprégnait déjà ma vie à cet âge tendre, je ne vis jamais le film de William Wyler ni au cinéma, où nous n’allions jamais en famille – et je n’étais pas née à sa sortie en 1959 – ni à la télévision que nous regardions pourtant beaucoup. Je m’en serais souvenue, moi qui pleurais déjà fillette devant le “Golgotha” de Julien Duvivier (1935) et plus tard devant le “Jésus de Nazareth” de Franco Zeffirelli (1977).
Curieusement, ce fut mon mari qui me fit connaître ce film dont il me parlait toujours avec chaleur. Il avait dû le voir au cinéma enfant. Je croyais alors qu’il s’agissait d’un peplum, ni plus ni moins, ce qui n’avait rien pour m’intéresser. La célèbre course de chars – j’allais enfin comprendre les sources de mon instituteur ! – n’étant absolument pas le type de scène que j’affectionne au cinéma. Bref, j’ai mis du temps à rencontrer Ben-Hur, le personnage comme le film !
Mais alors, la première fois que j’ai vu ce chef d’œuvre tant oscarisé de William Wyler à la télévision, quelle révélation ce fut pour moi ! Il y avait là le côté grandiose du peplum hollywoodien, certes, mais tellement plus encore l’évocation bouleversante de la vie et de la prédication de Jésus de Nazareth, son charisme, sa compassion, sa puissance de conversion sur les âmes, son chemin de croix et le scandale de sa crucifixion ! Je suis tombée amoureuse du tout : Jésus – c’était déjà fait depuis longtemps – le film, la beauté de Charlton Heston, les admirables personnages féminins…
Un immense coup de cœur pour le film préféré de mon mari !
Par la suite, nous l’avons regardé très souvent ensemble, en famille, à la télévision lorsqu’il était programmé, puis par la magie du magnétoscope. C’était, avec nos enfants, un met courant des jours fériés pluvieux.
Alors pourquoi m’en souvenir aujourd’hui, en ce jour de l’Ascension 2023 ?
J’étais préoccupée par la pensée du ménage prévu et plus que nécessaire cet après-midi, quand mon fils m’a envoyé en forme de clin d’œil une photo de son écran de télévison : il zappait, et sur Arte, il tombe pile sur une scène mémorable de Ben-Hur qu’il m’envoie promptement sans rien m’en dire, mais que j’ai bien sûr reconnue aussitôt : cet instant central dans le film où Jésus de Nazareth, que l’on ne fait que deviner, donne à boire à Judah Ben-Hur, enchaîné comme galérien et harassé sous le soleil.
Alors bien sûr, l’invitation était trop forte, j’ai allumé mon téléviseur ! Et je me suis rendu compte que je n’avais plus vu le film depuis pas mal d’années, car je ne me souvenais même plus de la scène du radeau.
J’ai quand même fait mon ménage, écoutant la bande son d’une oreille attentive aux scènes que je voulais revoir. La course de chars, pas nécessaire. Mais toutes les scènes de dialogue avec Esther – merveilleux personnage d’Esther ! –
la tragédie de Myriam et Tirzah, mère et sœur de Ben-Hur devenues lépreuses au fin fond d’un horrible cachot, l’évocation du Sermon sur la Montagne, la dureté de cœur de Ben-Hur jusqu’au moment clé où il croise à nouveau le Christ sur son chemin de croix et où la situation de la soif s’inverse…
Pour la dernière demi-heure du film, j’ai laissé là l’aspirateur et j’ai voulu savourer chaque moment. On y trouve à chaque fois quelque chose d’inédit ! Je n’avais pas encore été frappée jusqu’ici par le fait que les femmes de l’histoire – Esther, Myriam, Tirzah – ont une foi si spontanée et forte en Jésus, tandis que le personnage de Ben-Hur persiste longtemps dans sa rancœur, son incapacité à pardonner et son refus de se mettre à l’écoute du rabbi de Nazareth.
Ce que je trouve avant-gardiste pour un film de 1959 !
La fin est sublime. On pourra penser que je suis fleur bleue, mais cette conversion, enfin, de Judah Ben-Hur, la guérison de sa mère et de sa sœur, l’eau mêlée du sang du Christ qui ruisselle depuis le Golgotha et l’alléluia final me bouleversent à chaque fois, et j’ai encore pleuré comme une Madeleine devant ces tableaux…
Alors voilà, j’ai réussi à finir mon ménage, mais je voulais rendre ce petit hommage à Ben-Hur, le film, son réalisateur, le personnage, et bien plus que son char, sa rencontre bouleversante avec Jésus.
Celui qui me bouleverse moi aussi, et depuis longtemps, chaque jour que Dieu fait.