Originaire de Moselle où j’ai vécu une enfance et une adolescence très ferventes dans l’Eglise catholique – pratique dominicale, baptême, communion et confirmation, présence de trois prêtres dans ma famille proche, cours de religion à l’école et aumônerie jusqu’en classe de terminale, militance JOC/JOCF (Jeunesse Ouvrière Chrétienne), j’ai ensuite traversé une période de doute à l’entrée dans l’âge adulte.
C’est en Alsace où je réside depuis presque trente ans que j’ai retrouvé la joie de croire et la pratique dominicale à la fin des années 1990, j’allais même à la messe quasi quotidiennement il y a de cela quelques années.
Âgée de bientôt 60 ans, j’ai trois grands enfants et vis intérieurement une consécration au Seigneur Jésus depuis une douzaine d’années, choix profond posé après un divorce douloureux et toute une vie de grande proximité avec le Christ par le goût de son Evangile et l’oraison.
Ceci pour préciser que je connais très bien de l’intérieur l’Eglise de mon baptême et que la foi au Dieu trinitaire est le moteur de ma vie. Je ne suis pas une convertie de fraîche date, ni une ignorante de la doctrine et du rite catholiques. Où que j’aille, tout m’est familier à la messe, dont je connais par cœur la plupart des prières et des cantiques. Je compte des amis très chers parmi prêtres, moines et religieuses, et j’ai en général d’excellentes relations avec mes co-paroissiens.
Et pourtant, j’exprime aujourd’hui un grand désarroi au cœur de cette Eglise catholique à laquelle ma famille a appartenu de manière immémoriale.
Je n’y ai jamais trouvé un espace pour témoigner de ma foi débordante. C’est la raison pour laquelle, ayant énormément de choses à exprimer sur Dieu et sur la foi chrétienne, je me suis dotée il y a onze ans d’un site internet (https://www.histoiredunefoi.fr ). J’y publie deux livres, des articles de blog, des méditations bibliques, mes poèmes, prières, photos, tous en lien avec le regard que je porte sur les événements, les lieux, les personnes, à la lumière de ma grande passion pour les Ecritures qui sont omniprésentes sur ce site.
Dans ma paroisse, dans mon diocèse, cela est peu su, absolument pas pris en compte, alors que ce site recense environ 7000 à 8000 lecteurs par mois ces dernières années. J’ai aussi de nombreux échanges à partir de mes articles sur les réseaux sociaux, beaucoup de commentaires de mes écrits, qui suscitent souvent le débat. Aussi, j’estime faire œuvre d‘évangélisation par ce biais, sans aucune (re)connaissance du diocèse et des fidèles que je côtoie au quotidien et dont la plupart ne sont même pas au courant.
Cela crée en moi un immense décalage entre mon investissement intérieur et sur internet, constant, pour l’Evangile, et ce qui est perçu de moi-même dans ma communauté de paroisses, où il est considéré parfois que je ne suis pas assez investie ecclésialement parlant. J’ai été sollicitée depuis une trentaine d’années pour encadrer des groupes de jeunes ou d‘enfants dans leur préparation aux sacrements, pour prendre un mandat dans l’Equipe d’Animation Pastorale, pour participer à la chorale, pour encadrer les enfants de chœur et même pour devenir sacristine. Mais ayant profondément réfléchi à ces différents appels ecclésiaux, ayant intensément prié, médité sur ces propositions pastorales, la plupart du temps je n’ai pas donné suite, par manque de disponibilité quand je travaillais encore, ou ressentant de manière intime forte que mes charismes et l’appel de Dieu sur moi ne correspondaient pas à ce type d’engagement. On attendait de moi de participer à « faire tourner » une paroisse, alors que ma vocation profonde est de rendre actuel, abordable et compréhensible par chacun l’Evangile.
Ajoutons à cela que je suis d’une très grande exigence spirituelle, méditant énormément chaque donnée de la foi, réfléchissant profondément à chaque doctrine ; j’ai énormément lu et débattu sur tous ces sujets, ce qui m’amène depuis longtemps à relativiser certaines doctrines voire certains dogmes catholiques. J’ai ainsi de plus en plus de mal à adhérer aux affirmations magistérielles, et ce non pas par manque de formation ou de connaissance du sujet, mais par liberté d’esprit et par ouverture œcuménique et inter-religieuse.
Parallèlement à toute cette remise en question spirituelle permanente, j’ai pratiqué jusqu’à présent fidèlement dans ma petite paroisse rurale, où j’ai deux responsabilités : je suis lectrice à la messe, ce qui me comble, et je distribue depuis une vingtaine d’années le bulletin paroissial dans mon quartier.
Or, il s‘avère que ces deux dernières années, je suis de plus en plus mal à l’aise dans mon vécu paroissial. Le Covid nous a valu une diminution drastique du nombre de pratiquants réguliers : certains sont malheureusement décédés de cette maladie, d’autres ont pris discrètement leurs distances avec la paroisse voire l’Eglise, beaucoup ne sont plus revenus à la messe, ou bien plus rarement. Très peu d‘enfants et de jeunes fréquentent encore nos quatre églises. La plupart des fidèles ont plus de soixante ans. Parfois, notamment aux messes dominicales anticipées du samedi soir, on compte le prêtre, le sacristain, quelques choristes et moins de dix ou même de cinq fidèles disséminés dans les rangs.
J‘ai poursuivi ma pratique par grande dévotion au sacrement de l’Eucharistie, que je vis toujours très intensément intérieurement, pour ma responsabilité de lectrice et par amitié et affection pour les autres paroissiens qui représentent pour moi presque une famille de cœur et d’esprit.
Mais je dois dire qu’à la messe, je souffre aussi. Et beaucoup.
Je souffre de la tournure passéiste que prend globalement l’Eglise de France : ritualisme de plus en plus fort, influence non négligeable des revendications traditionalistes, retour de pratiques désuètes et à mon avis sans grand intérêt : surenchère d’encens, de prières eucharistiques redondantes, réinstauration de processions de la Fête-Dieu omises depuis des décennies… Recadrage systématique vers la doctrine catholique officielle, vers le catéchisme, exacerbation de la dévotion mariale.
Je souffre de la communication unilatérale au sujet des Ecritures : aucun débat possible, aucune parole de laïc sollicitée. Il me faut endurer des homélies insipides faites de paraphrase répétitive et de tentative de catéchisation primaire, comme si les quelques rares fidèles restants étaient immatures dans leur foi, ignorants des textes sacrés, piètres chrétiens voire personnes à humaniser. Le débat ou la contestation sont impossibles dans la mesure où le prêtre ne vient jamais à la rencontre des fidèles sur le parvis de l’église. Parfois, nous n’en sommes connus que par notre nom, et encore…
Globalement, dans l’Eglise catholique, je trouve qu’il y a très peu de variété dans les homélies, qui sont trop prévisibles, parfois peu inspirées, déconnectées de l’actualité et du vécu quotidien des femmes et des hommes qui doivent en outre les recevoir passivement. Les grandes envolées lyriques sur la primauté de « l’amour » dans l’Eglise entrent en contradiction profonde et cruelle avec les révélations fracassantes et traumatisantes du rapport de la CIASE (Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église) en octobre 2021. Ne parlons même pas des recadrages systématiques vers le Magistère, comme s’il existait une indépassable vérité catholique qui soit la vérité même de Dieu. Comment a-t-on pu en arriver à une posture aussi orgueilleuse, parfois inhumaine, et fermée ?
Mon cheminement personnel m’amène à penser que ce n’est pas du tout une bonne chose d’aller à la messe souvent à contre-cœur, d’avoir parfois envie de fuir pendant les homélies tout en demeurant impassible à ma place par souci des convenances…
Que ce n’est pas une bonne chose d’avoir envie de bâiller et de regarder ma montre pendant les longues et répétitives prières eucharistiques.
Que je me fais du mal en allant à la messe sans joie et avec le sentiment de ne pas pouvoir y donner le témoignage de la chrétienne fervente que je suis profondément.
Que ce n’est pas être à sa place que d‘avoir le sentiment permanent d’être ignorée voire niée pour ses charismes personnels. Et d‘autant plus en tant que femme dans cette Eglise-là.
Aussi, à la faveur d‘échanges toujours profondément intéressants sur les réseaux sociaux avec l’un ou l’autre pasteur protestant, j’ai pris l’initiative, entre Pentecôte et Trinité, d’aller assister à des cultes luthériens. « Assister » est d‘ailleurs inadapté comme verbe, j’y ai réellement participé, puisque j’ai même été admise au partage de la Sainte Cène, sans velléité de la part de ces chrétiens-là de scruter au préalable mon adhésion totale à leur doctrine, mon statut familial ou ma « moralité ».
J’y ai entendu des prédications fort intéressantes, édifiantes, en lien avec notre vécu quotidien, et cependant profondément inspirées de l’Esprit Saint.
J’ai été un peu désorientée par le déroulement du culte, mais j’ai pu y entrer néanmoins facilement, sans la nécessité d’une connaissance préalable poussée d’un rituel compliqué. J’ai même apprécié la sobriété des prières d’introduction à la Sainte Cène, brèves mais ajustées, épurées, bibliques.
Et sortant du culte, j’ai été abordée par des paroissiennes qui m’ont demandé d’où je venais et se sont intéressées à mes motivations à être là. J’ai aussi été invitée à un partage biblique œcuménique, ce dont j’ai une si grande soif ! J’y participerai avec joie et gratitude.
Alors, en l’état actuel des choses, je ne veux pas me « convertir » au protestantisme, et d‘ailleurs cela ne m’est même pas demandé par cette communauté, mais simplement aller célébrer ma foi avec d’autres chrétiens, différemment, ailleurs, en me sentant moins clivée intérieurement et avec une petite espérance de pouvoir y être davantage moi-même. Sans faux-semblants et sans cette souffrance lancinante d’être ignorée pour ma foi réelle et mes efforts quotidiens d’évangélisation, sans ce sentiment oppressant d’être emprisonnée dans une doctrine et un ritualisme catholiques qui m’étouffent de plus en plus.
Je demande d’ores et déjà pardon à mes frères et sœurs de paroisse et de baptême qui pourront se sentir blessés par ma décision, mais elle est mûrement réfléchie, dans la prière et dans l’Esprit.
Que Dieu nous vienne en aide, dans son grand amour.
Le 5 Juin 2023
Véronique G., « nom de plume » Véronique Belen
2 commentaires
Bonjour, Je crois vous avoir croisé un jour ou l’autre sur FB, et je découvre aujourd’hui la façon dont vous précisez votre décision de vous tourner vers l’église luthérienne. Je suis religieux des Prêtres du SacreCoeur de Jésus de Betharram, prêtre catholique depuis 50 ans, et en ce moment aumônier des Carmélites de Nazareth. Et je connais d’autres personnes qui ont ou vont faire le même choix que vous. Je ne peux pas dire que je ferais le même, mais je me sens responsable avec mes frères prêtres de ce découragement que je partage avec combien de mes frères et sœurs. Cela ne peut que me provoquer dans ma façon de vivre et de célébrer l’eucharistie, de soigner mon homélie et d’inventer des relations évangéliques…. Bon chemin à vous.
Merci beaucoup à vous père Jacky pour ce commentaire dont j’accueille avec gratitude la sincérité et l’humilité. Je suis consciente de blesser par ma décision personnelle mes frères et sœurs catholiques, les prêtres et les consacrés fidèles à cette Eglise contre vents et marées. J’admire cette fidélité qui est pour moi, après quelque cinquante ans de pratique fidèle, actuellement au-dessus de mes forces. Une nomination malheureuse à la tête de ma paroisse aura eu raison de ma patience.
Je pense aussi que l’appel de Dieu sur moi est singulier : j’ai toujours été particulièrement sensible à la question de l’œcuménisme, et elle traverse à présent concrètement ma chair et mon âme. J’essaie de me rendre docile aux motions de l’Esprit : j’ai beaucoup à découvrir et à apprendre chez les protestants, et sans que ce soit un désir de “conversion”, cela ne pourra être qu’un enrichissement spirituel et humain.
Croyez en ma vive sympathie, et portez aussi ma consécration au Seigneur, que j’ai voulue il y a douze ans dans l’esprit du Carmel, dans votre prière au milieu des carmélites de Nazareth, mes sœurs de cœur et d ‘esprit.