Depuis que j’ai rendu publique ma décision d’aller pratiquer ma foi, après la Pentecôte, dans une paroisse protestante luthérienne, dans les réponses à ma lettre ouverte (https://www.histoiredunefoi.fr/blog/15117-lettre-ouverte-aux-catholiques-de-ma-paroisse-dalsace-et-de-france )ou dans les débats qu’elle a suscités sur les réseaux sociaux, plusieurs personnes m’ont manifesté leur étonnement que je décide ainsi de me priver de l’Eucharistie, ou affirmé qu’elles étaient prêtes de leur côté à endurer beaucoup dans cette Eglise pour continuer à pouvoir communier au Corps du Christ. Je peux parfaitement comprendre ces réactions, étant donné que j’ai toujours eu dans ma pratique en cette Eglise de mon baptême une très grande dévotion au sacrement de l’Eucharistie.
Ainsi, contrairement à certains de mes correligionnaires, j’ai toujours cru en la Présence réelle du Seigneur dans les espèces du pain et du vin. Et je crois en la doctrine très discutée de la transsubstantiation. Le mot ne m’effraie pas, et j’adhère sans réserve à ce concept, non par docilité au magistère, mais parce que les Evangiles ne mentent pas – Jean 6, 51-58 lu hier aux messes dominicales – et que j’ai eu toutes ces dernières années/décennies un ressenti très fort en communiant.
Aussi n’ai-je jamais galvaudé ce sacrement : j’ai toujours communié avec grand respect, dans le recueillement et la prière d’actions de grâce ou d’intercession.
Il y a vingt ans, ma paroisse m’avait même confié la très belle responsabilité de seconder le prêtre pour donner la communion aux messes dominicales à mes frères et sœurs de paroisse. Je m’en suis acquittée avec un bonheur et une reconnaissance infinies.
Jusqu’à ce que l’on me refuse un jour un sacrement de la réconciliation au motif que la situation amoureuse que j’avais confessée n’était pas conforme au catéchisme catholique. J’ai alors immédiatement renoncé de moi-même à donner la communion et aussi à communier, tout en continuant à aller à la messe. Ce qui m’a occasionné une très grande souffrance, d’autant plus que j’étais ainsi de fait désignée aux yeux de tous comme pécheresse écartée des sacrements. C’est une chose d’en parler, une toute autre de le vivre : douleur de ce jeûne et de cette humiliation.
Quand ma situation s’est clarifiée et que j’ai pu obtenir à nouveau un pardon en confession, je suis revenue au sacrement de l’Eucharistie. Mais la blessure est indélebile, et me rend très sensible à la stigmatisation par exemple des divorcés-remariés – ce qui n’avait même pas été mon cas.
Je ferai donc une première remarque : en Eglise catholique, de nos jours, l’Eucharistie est devenue bien souvent une occasion d’exclure des baptisés de la table du Seigneur. Et sur des critères plus que discutables. Etre propret quant à sa situation maritale ouvre le droit à la communion. Une personne pourra avoir failli sur tous les commandements, à l’exception du sixième (s’il est notoire toutefois : ainsi, on peut imaginer qu’un homme qui trompe sa femme en secret s’approche de la table eucharistique sans sourciller pour ne pas être démasqué à la messe dominicale…), elle aura le droit de communier. Il vaut mieux finalement avoir tué sa femme puis en épouser une autre et avoir obtenu le pardon pour ce meurtre que de se remarier plus tard quand on a été une femme victime de violences conjugales ayant conduit à un divorce. Je prends un exemple volontiers caricatural, mais on en est là côté droit canon.
L’Eucharistie est également proscrite pour les non catholiques. Soyez le conjoint protestant d’une catholique, discernant absolument le corps du Seigneur dans l’hostie consacrée, vous ne serez cependant pas autorisé à communier à ses côtés. Encore une règle excluante.
“Prenez et mangez en tous”, une parole finalement bien hypocrite à la messe. Dans les faits, je pense qu’il y a à l’heure actuelle plus de chrétiens canoniquement exclus de l’Eucharistie que de participants “autorisés”.
Le discours autour du fait d’avoir communié m’incommode aussi. Nos cantiques de communion exaltent le fait de devenir nous-mêmes “Corps du Christ”, d’avoir Jésus en nous et d’en être désormais les témoins, de faire advenir un “monde d’amour, de justice et de paix”, d’être comblés de l’Esprit par cette visite… D’où viennent alors les commérages sur le parvis juste après la messe et les bulletins de vote racistes jetés dans l’urne à la sortie de l’église les dimanches d’élections ? Le Pain des anges ne nous rend visiblement pas nous-mêmes angéliques…
J’en reviens au fait de poser ce choix difficile de renoncer à l’Eucharistie en délaissant l’Eglise de mon baptême. Oui, cela me coûte, et c’est ce qui m’a retenue pendant de longues années de partir alors que j’étouffais déjà sous le carcan de la doctrine. Mais maintenant, je prends conscience que l’Eglise catholique nous tient captifs par cet argument de l’Eucharistie. A force de l’absolutiser comme “source et sommet de toute la vie chrétienne” (Vatican II) on nous fait croire que sans elle, notre foi va s’effondrer, que nous aurons perdu la quintessence même de notre vie chrétienne.
D’un autre côté, à force d’affirmer comme le fit Jean-Paul II “« Celui qui se nourrit du Christ dans l’Eucharistie n’a pas besoin d’attendre l’au-delà pour recevoir la vie éternelle : il la possède déjà sur terre, comme prémices de la plénitude à venir, qui concernera l’homme dans sa totalité. Dans l’Eucharistie en effet, nous recevons la garantie de la résurrection à la fin des temps” (Encyclique Ecclesia de Eucharistia, n°18) , nous obtenons l’effet pervers du “On ira tous au paradis”.
Combien de catholiques allant communier consciencieusement à la messe pensent-ils ainsi échapper à tout jugement dernier ! Et de pécher tranquillement, ils sont assurés de leur salut ! C’est ainsi qu’on en vient au binôme baptême/première communion d’enfants qu’on ne reverra jamais à la messe jusqu’à l’enterrement de leurs grands-parents… Tout va bien, ils sont baptisés, ils ont communié au moins une fois, ils sont assurés de leur salut !
Je m’érige contre cette absolutisation des sacrements qui peuvent conduire à négliger totalement dans une vie la foi et les œuvres. Les sacrements ne sont pas un “vaccin contre l’enfer”! Il nous faudrait donc imaginer présentement en paradis tous les dictateurs de la pire espèce, qui, ayant été baptisés et ayant communié au moins une fois dans leur vie n’auraient plus de comptes à rendre à l’heure de leur mort ?
Et que dire alors de tous ceux qui sont de facto exclus de l’Eucharistie : à eux les affres du jugement et les aléas de la grâce ?
Je conclurai sur une dernière remarque : je pense que dans la consécration du pain et du vin, le rôle de l’Esprit Saint supplante de beaucoup celui du prêtre. Comment comprendre sinon que des prêtres criminels coupables d’abus en tout genre aient pu donner des hosties véritablement Corps du Christ aux fidèles présents ? Ce n’est certainement pas leur supposé sacrifice – sacrifice de quel ordre ? – qui a obtenu cette grâce au moment de l’épiclèse, mais bel et bien la bonté de Dieu qui daigne envoyer l’Esprit Saint sur les espèces pour les transformer en Corps et Sang du Christ. Mon avis est que cette consécration ne dépend pas de la longueur, de la lourdeur et des fioritures de la prière eucharistique, mais bien de la volonté de l’Esprit Saint de soutenir les fidèles par cette nourriture. Auquel cas on est en droit de penser que même hors de l’Eglise catholique, si la foi est vive et l’Esprit convié, dans le recueillement et la croyance en la présence du Seigneur dans le pain et le vin présentés avec respect et dans l’esprit des Ecritures, on peut avoir part au Corps du Christ même dans une sainte Cène…
Avant que l’on me voue au bûcher des hérétiques, j’aimerais que l’on examine au fond de soi, avec honnêté et foi, cette pensée que j’ose.
Et une toute dernière observation qui m’interpelle après avoir vécu deux fois la sainte Cène, très belle et recueillie, avec des luthériens : le pasteur ne communie pas en premier, il partage le pain et le vin à tous ceux qui le désirent avec foi, puis les reçoit, en dernier, de la part d’un paroissien qui l’assiste. Je trouve cela plus respectueux que de devoir observer un prêtre qui “se sert toujours en premier”.
Image : La Vierge adorant l’hostie (détail) Ingres, XIXe Musée d’Orsay, Paris
2 commentaires
Merci pour cet article. Nous sommes nombreux à être mal à l’aise avec ce qui entoure le sacrement.( Lisez Vers l’effondrement? De Bruno Mori….Et on abandonnerait vite l’église romaine. Ce livre est cependant criticable car un peu caricatural. Ce serait un critique (justifiee) du kt de Jean Paul 2.)
Perso, (catholique depuis tjs, diplôme theo…) je suis oeucumenique en acte allant avec mon mari à la messe 1x par mois et au culte des protestants réformés depuis 3 ans. Chez les uns, je sors souvent énervée, chez les autres je vis une présence réelle et prie avec des mots nouveaux et actualisés…Le grand défaut des catholiques est de chosifier le mystère de la présence. Dès lors, non à l’adoration d’une hostie par exemple même si je respecte les personnes qui ont besoin d’un support visuel pour prier…