Depuis une semaine, entre la mort du jeune Nahel tué d’une balle à bout portant par un policier lors d’un contrôle routier et d’un refus d’obtempérer et les émeutes urbaines destructrices qui s’en sont suivies, j’ai mal à mon pays. J’ai mal à l’incivilité, j’ai mal à la violence des armes, j’ai mal à la violence des rues qui détruisent le bien commun ou d’autrui dans un climat insurrectionnel qui ne peut mener qu’à la désolation et à l’exacerbation des opinions politiques extrêmes. J’ai mal à ce pays fracturé qui ne sait plus s’exprimer dans les urnes, et entend poursuivre par les violences ce qu’il estime ne pas pouvoir obtenir par la démocratie.
Je ne vais pas ici me lancer dans une analyse politique de fond qui ne relève pas de mes compétences, mais m’exprimer à partir de mes observations, de mes lectures informatives que je tente les plus diverses possibles, des échanges très tendus que je constate sur les réseaux sociaux entre partisans de tel ou tel “camp” depuis cette affaire et plus largement ces dernières années.
Ainsi, il est tout à fait édifiant que deux cagnottes se soient consituées suite au drame de Nanterre : l’une pour venir en aide à la famille du jeune Nahel qui était le fils unique d’une maman célibataire, famille d’ascendance algérienne, et l’autre pour la famille du policier qui a donné la mort à ce mineur de 17 ans.
La justice n’est pas encore passée dans cette affaire et loin de moi l’idée de rendre des conclusions sur des faits qui nécessitent d’être examinés à la loupe. Y a-t-il, oui ou non, refus d’obtempérer par une fuite dangereuse, y a-t-il, oui ou non, situation de légitime défense dans une mise en danger de la vie des deux policiers présents ? Une justice impartiale devra trancher. Dans tous les cas, on peut se dire que la peine de mort est abolie depuis plus de quarante ans en France et que de toute façon, un délit routier ne justifie pas la mort immédiate d’un mineur.
Je me suis beaucoup irritée ces trois derniers jours sur les réseaux sociaux contre l’homélie d’un prêtre qui attribuait à la progressive disparition des signes religieux chrétiens dans notre pays le délitement des comportements d’une jeunesse n’ayant plus comme unique objectif que de “consommer”. Il opposait sans états d’âme au lendemain de ses obsèques le jeune Nahel (je cite) [Un jeune de 17 ans est mort parce qu’il n’avait pas d’autre objectif dans sa vie que de s’accaparer des voitures et de jouer au chat et à la souris avec des policiers.] à Henri d’Anselme, le jeune homme qui a tenté de repousser l’assaillant d’Annecy avec son sac à dos le 8 juin 2023. (Je cite) [La France a rejeté le Christ, elle en subit aujourd’hui les conséquences !
Face à ses horreurs, je repense à Henri d’Anselme, lui qui marche en élevant son regard au niveau des cathédrales, quel contraste ! Bien sûr on s’est moqué de lui, vous pensez il est catho et il y croit ! Alors l’intelligentsia anticléricale s’en est donnée à coeur joie !
Et pourtant : un seul homme qui avait su accueillir le Christ a pu avec son sac arrêter le mal à l’œuvre devant ses yeux !]
Ce prêtre a prononcé cette homélie dans sa paroisse du sud de la France et l’a publiée sur son compte Facebook à la demande de ses auditeurs. S’en est suivi un concert de louanges, ses admirateurs louant son courage, son franc-parler, les “vérités” dites, et j’en passe. Pour moi, je suis intervenue pour dire à quel point ce discours me choquait, à quel point j’en désapprouvais et le contenu, et le fait de se servir de sa posture de prêtre en train de prêcher pour manipuler les consciences par des raccourcis faciles aux relents d’extrême-droite, qui plus est en instrumentalisant les textes bibliques du jour ( 2 Rois 4, 8-11.14-16a, Romains 6, 3-4.8-11, Matthieu 10, 37-42) qui évoquaient essentiellement l’accueil que nous réservons aux prophètes. Bien sûr, pour ses supporters, le prédicateur en question avait là des paroles prophétiques. J’ai eu beau souligner que les prophètes ne faisaient jamais l’unanimité et ne suscitaient pas de leur vivant des concerts de louanges, c’est moi, et quelques rares autres contradicteurs, qui nous sommes récolté dans ce fil de discussion des bordées d’insultes. Chaque partisan du prêtre feignait de ne rien discerner dans ce discours qui soit politique, insultant pour Nahel à peine enterré et contraire aux valeurs de l’Evangile.
Mon chagrin est immense quand je songe à la fracture non seulement de notre pays, tellement palpable à chaque élection présidentielle, mais aussi de notre Eglise, qui, divisée comme jamais, cède à la tentation du repli identitaire en n’hésitant plus désormais à travestir les enseignements pourtant si ouverts à l’altérité de Jésus. On se sert désormais de la foi catholique pour justifier les inclinations xénophobes les plus abjectes. Notre pays est gangréné par les discours des polémistes ayant renoncé à toute décence quant à la nécessité de vivre ensemble dans cette nation diverse telle qu’elle est en ce siècle. La stratégie du bouc émissaire refait surface : ce n’est plus Dreyfus qu’on accuse en vrac de tous les maux de la nation, mais les enfants descendants d’immigrés qui doivent désormais endosser ce rôle insupportable. Je m’informe aussi de ce qui se dit à l’étranger de l’état de notre nation, et je suis obligée d’avoir honte que nous soyons considérés comme incapables de gérer la question de l’intégration de nos populations issues de l’immigration. Nos lois ont beau être égalitaires, les banlieues et quartiers défavorisés économiquement sont autant de ghettos prêts à imploser.
Je déplore comme tout un chacun le manque d’éducation au respect du bien public, d’autrui et de la bienséance de toute une frange de notre jeunesse, je remets en cause une parentalité qui semble défaillante, mais pour autant, je peux comprendre que la cocotte minute qui enferme sous son couvercle un trop-plein de mépris xénophobe librement assumé par les électeurs et propagandistes d’extrême-droite soit prête à imploser. Quelle que soit son origine sociale et ethnique, chaque être humain a droit à une dignité qu’on ne peut pas impunément fouler aux pieds. Trop de stigmatisation des populations issues de l’immigration finit par déborder de nos banlieues en un déferlement incontrôlable des frustrations et humiliations accumulées.
Ne restons pas sourds au seul cri divin qui traverse les Ecritures du commencement à leur fin :
« Qu’as-tu fait ? La voix du sang de ton frère crie de la terre vers moi !»
(Genèse 4, 10)
Lien vers l’homélie en question : https://www.facebook.com/pierre.gerard.73/posts/pfbid0M5aXCN9xwcHiitHZbJSbgbtaxPzvDnsts1ycMiHzuDs77BqP84W4S5pngqgEK4LZl